est un sot, reprit-elle, ou plut?t c'est toi qui es une bête de croire à la parole des arbres.
--Vous croyez que les arbres ne parlent pas? Vous vous trompez bien!
--Tous les arbres parlent quand le vent se met après eux, mais ils ne savent pas ce qu'ils disent; c'est comme s'ils ne disaient rien.
Emmi fut faché de cette explication positive d'un fait merveilleux. Il répondit à Catiche:
--C'est vous qui radotez, la vieille. Si tous les arbres font comme vous, mon chêne du moins sait ce qu'il veut et ce qu'il dit.
La vieille haussa les épaules, ramassa sa besace et s'éloigna en reprenant son rire d'idiote.
Emmi se demanda si elle jouait un r?le ou si elle avait des moments lucides. Il la laissa partir et la suivit, en se glissant d'arbre en arbre sans qu'elle s'en aper??t. Elle n'allait pas vite et marchait le dos courbé, la tête en avant, la bouche entr'ouverte, l'oeil fixé droit devant elle; mais cet air exténué ne l'empêchait pas d'avancer toujours sans se presser ni se ralentir, et elle traversa ainsi la forêt pendant trois bonnes heures de marche, jusqu'à un pauvre hameau perché sur une colline derrière laquelle d'autres bois s'étendaient à perte de vue. Emmi la vit entrer dans une méchante cahute isolée des autres habitations, qui, pour para?tre moins misérables, n'en étaient pas moins un assemblage de quelques douzaines de taudis. Il n'osa pas s'aventurer plus loin que les derniers arbres de la forêt et revint sur ses pas, bien convaincu que, si la Catiche avait un chez elle, il était plus pauvre et plus laid que le trou de l'arbre parlant.
Il regagna son logis du grand chêne et n'y arriva que vers le soir, harassé de fatigue, mais content de se retrouver chez lui. Il avait gagné à ce voyage de conna?tre l'étendue de la forêt et la proximité d'un village; mais ce village paraissait bien plus mal partagé que celui de Cernas, où Emmi avait été élevé. C'était tout pays de landes sans trace de culture, et les rares bestiaux qu'il avait vus pa?tre autour des maisons n'avaient que la peau sur les os. Au delà, il n'avait aper?u que les sombres horizons des forêts. Ce n'est donc pas de ce c?té-là qu'il pouvait songer à trouver une condition meilleure que la sienne.
Au bout de la semaine, la Catiche arriva à l'heure ordinaire. Elle revenait de Cernas, et il lui demanda des nouvelles de sa tante pour voir si cette vieille aurait le pouvoir et la volonté de lui répondre comme la dernière fois. Elle répondit très-nettement:
--La grand'Nanette est remariée, et, si tu retournes chez elle, elle tachera de te faire mourir pour se débarrasser de toi.
--Parlez-vous raisonnablement? dit Emmi; et me dites-vous la vérité?
--Je te dis la vérité. Tu n'as plus qu'à te rendre à ton ma?tre pour vivre avec les cochons, ou à chercher ton pain avec moi, ce qui te vaudrait mieux que tu ne penses. Tu ne pourras pas toujours vivre dans la forêt. Elle est vendue, et sans doute on va abattre les vieux arbres. Ton chêne y passera comme les autres. Crois-moi, petit. On ne peut vivre nulle part sans gagner de l'argent. Viens avec moi, tu m'aideras à en gagner beaucoup, et, quand je mourrai, je te laisserai celui que j'ai.
Emmi était si étonné d'entendre causer et raisonner l'idiote, qu'il regarda son arbre et prêta l'oreille comme s'il lui demandait conseil.
--Laisse donc cette vieille b?che tranquille, reprit la Catiche. Ne sois pas si sot et viens avec moi.
Comme l'arbre ne disait mot, Emmi suivit la vieille, qui, chemin faisant, lui révéla son secret.
?--Je suis venue au monde loin d'ici, pauvre comme toi et orpheline. J'ai été élevée dans la misère et les coups. J'ai gardé aussi les cochons, et, comme toi, j'en avais peur. Comme toi, je me suis sauvée; mais, en traversant une rivière sur un vieux pont décrépit, je suis tombée à l'eau d'où on m'a retirée comme morte. Un bon médecin chez qui on m'a portée m'a fait revenir à la vie; mais j'étais idiote, sourde, et ne pouvant presque plus parler. Il m'a gardée par charité, et, comme il n'était pas riche, le curé de l'endroit a fait des quêtes pour moi, et les dames m'ont apporté des habits, du vin, des douceurs, tout ce qu'il me fallait. Je commen?ais à me porter mieux, j'étais si bien soignée! Je mangeais de la bonne viande, je buvais du bon vin sucré, j'avais l'hiver du feu dans ma chambre, j'étais comme une princesse, et le médecin était content. Il disait:
?--La voilà qui entend ce qu'on lui dit. Elle retrouve les mots pour parler. Dans deux ou trois mois d'ici, elle pourra travailler et gagner honnêtement sa vie.
?Et toutes les belles dames se disputaient à qui me prendrait chez elle.
?Je ne fus
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