ne m'étais trouvée servie ainsi.
Elle m'habillait rapidement avec une légèreté de mains étonnante. Jamais je ne sentais ses
doigts sur ma peau, et rien ne m'est désagréable comme le contact d'une main de bonne.
Je pris bientôt des habitudes de paresse excessives, tant il m'était agréable de me laisser
vêtir, des pieds à la tête, et de la chemise aux gants, par cette grande fille timide, toujours
un peu rougissante, et qui ne parlait jamais. Au sortir du bain, elle me frictionnait et me
massait pendant que je sommeillais un peu sur mon divan; je la considérais, ma foi, en
amie de condition inférieure, plutôt qu'en simple domestique.
Or, un matin, mon concierge demanda avec mystère à me parler. Je fus surprise et je le fis
entrer. C'était un homme très sûr, un vieux soldat, ancienne ordonnance de mon mari.
Il paraissait gêné de ce qu'il avait à dire. Enfin, il prononça en bredouillant:
--Madame, il y a en bas le commissaire de police du quartier.
Je demandai brusquement:
--Qu'est-ce qu'il veut?
--Il veut faire une perquisition dans l'hôtel.
Certes, la police est utile, mais je la déteste. Je trouve que ce n'est pas là un métier noble.
Et je répondis, irritée autant que blessée:
--Pourquoi cette perquisition? À quel propos? Il n'entrera pas.
Le concierge reprit:
--Il prétend qu'il y a un malfaiteur caché.
Cette fois j'eus peur et j'ordonnai d'introduire le commissaire de police auprès de moi
pour avoir des explications. C'était un homme assez bien élevé, décoré de la Légion
d'honneur. Il s'excusa, demanda pardon, puis m'affirma que j'avais, parmi les gens de
service, un forçat!
Je fus révoltée; je répondis que je garantissais tout le domestique de l'hôtel et je le passai
en revue.
--Le concierge, Pierre Courtin, ancien soldat.
--Ce n'est pas lui.
--Le cocher François Pingau, un paysan champenois, fils d'un fermier de mon père.
--Ce n'est pas lui.
--Un valet d'écurie, pris en Champagne également, et toujours fils de paysans que je
connais, plus un valet de pied que vous venez de voir.
--Ce n'est pas lui.
--Alors monsieur, vous voyez bien que vous vous trompez.
--Pardon, madame, je suis sûr de ne pas me tromper. Comme il s'agit d'un criminel
redoutable, voulez-vous avoir la gracieuseté de faire comparaître ici, devant vous et moi,
tout votre monde.
Je résistai d'abord, puis je cédai, et je fis monter tous mes gens, hommes et femmes.
Le commissaire de police les examina d'un seul coup d'oeil, puis déclara:
--Ce n'est pas tout.
--Pardon, monsieur, il n'y a plus que ma femme de chambre, une jeune fille que vous ne
pouvez confondre avec un forçat.
Il demanda:
--Puis-je la voir aussi?
--Certainement.
Je sonnai Rose qui parut aussitôt. À peine fut-elle entrée que le commissaire fit un signe,
et deux hommes que je n'avais pas vus, cachés derrière la porte, se jetèrent sur elle, lui
saisirent les mains et les lièrent avec des cordes.
Je poussai un cri de fureur, et je voulus m'élancer pour la défendre. Le commissaire
m'arrêta:
--Cette fille, madame, est un homme qui s'appelle Jean-Nicolas Lecapet, condamné à
mort en 1879 pour assassinat précédé de viol. Sa peine fut commuée en prison
perpétuelle. Il s'échappa voici quatre mois. Nous le cherchons depuis lors.
J'étais affolée, atterrée. Je ne croyais pas. Le commissaire reprit en riant:
--Je ne puis vous donner qu'une preuve. Il a le bras droit tatoué. La manche fut relevée.
C'était vrai. L'homme de police ajouta avec un certain mauvais goût:
--Fiez-vous en à nous pour les autres constatations.
Et on emmena ma femme de chambre!
Eh bien, le croirais-tu, ce qui dominait en moi ce n'était pas la colère d'avoir été jouée
ainsi, trompée et ridiculisée; ce n'était pas la honte d'avoir été ainsi habillée, déshabillée,
maniée et touchée par cet homme... mais une... humiliation profonde... une humiliation de
femme. Comprends-tu?
--Non, pas très bien?
--Voyons.... Réfléchis.... Il avait été condamné... pour viol, ce garçon... eh bien! je
pensais... à celle qu'il avait violée... et ça..., ça m'humiliait.... Voilà.... Comprends-tu,
maintenant?
Et Mme Margot ne répondit pas. Elle regardait droit devant elle, d'un oeil fixe et singulier
les deux boutons luisants de la livrée, avec ce sourire de sphinx qu'ont parfois les
femmes.
LE PÈRE
[Illustration]
LE PÈRE
Comme il habitait les Batignolles, étant employé au ministère de l'instruction publique, il
prenait chaque matin l'omnibus, pour se cendre à son bureau. Et chaque matin il
voyageait jusqu'au centre de Paris, en face d'une jeune fille dont il devint amoureux.
Elle allait à son magasin, tous les jours, à la même heure. C'était une petite brunette, de
ces brunes dont les yeux sont si noirs qu'ils ont l'air de taches, et dont le teint à des reflets
d'ivoire. Il la voyait apparaître toujours au coin de la même rue; et elle se
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