Contes du jour et de la nuit | Page 5

Guy de Maupassant
a en bas le commissaire de police du quartier.
Je demandai brusquement:
--Qu'est-ce qu'il veut?
--Il veut faire une perquisition dans l'h?tel.
Certes, la police est utile, mais je la déteste. Je trouve que ce n'est pas là un métier noble. Et je répondis, irritée autant que blessée:
--Pourquoi cette perquisition? à quel propos? Il n'entrera pas.
Le concierge reprit:
--Il prétend qu'il y a un malfaiteur caché.
Cette fois j'eus peur et j'ordonnai d'introduire le commissaire de police auprès de moi pour avoir des explications. C'était un homme assez bien élevé, décoré de la Légion d'honneur. Il s'excusa, demanda pardon, puis m'affirma que j'avais, parmi les gens de service, un for?at!
Je fus révoltée; je répondis que je garantissais tout le domestique de l'h?tel et je le passai en revue.
--Le concierge, Pierre Courtin, ancien soldat.
--Ce n'est pas lui.
--Le cocher Fran?ois Pingau, un paysan champenois, fils d'un fermier de mon père.
--Ce n'est pas lui.
--Un valet d'écurie, pris en Champagne également, et toujours fils de paysans que je connais, plus un valet de pied que vous venez de voir.
--Ce n'est pas lui.
--Alors monsieur, vous voyez bien que vous vous trompez.
--Pardon, madame, je suis s?r de ne pas me tromper. Comme il s'agit d'un criminel redoutable, voulez-vous avoir la gracieuseté de faire compara?tre ici, devant vous et moi, tout votre monde.
Je résistai d'abord, puis je cédai, et je fis monter tous mes gens, hommes et femmes.
Le commissaire de police les examina d'un seul coup d'oeil, puis déclara:
--Ce n'est pas tout.
--Pardon, monsieur, il n'y a plus que ma femme de chambre, une jeune fille que vous ne pouvez confondre avec un for?at.
Il demanda:
--Puis-je la voir aussi?
--Certainement.
Je sonnai Rose qui parut aussit?t. à peine fut-elle entrée que le commissaire fit un signe, et deux hommes que je n'avais pas vus, cachés derrière la porte, se jetèrent sur elle, lui saisirent les mains et les lièrent avec des cordes.
Je poussai un cri de fureur, et je voulus m'élancer pour la défendre. Le commissaire m'arrêta:
--Cette fille, madame, est un homme qui s'appelle Jean-Nicolas Lecapet, condamné à mort en 1879 pour assassinat précédé de viol. Sa peine fut commuée en prison perpétuelle. Il s'échappa voici quatre mois. Nous le cherchons depuis lors.
J'étais affolée, atterrée. Je ne croyais pas. Le commissaire reprit en riant:
--Je ne puis vous donner qu'une preuve. Il a le bras droit tatoué. La manche fut relevée. C'était vrai. L'homme de police ajouta avec un certain mauvais go?t:
--Fiez-vous en à nous pour les autres constatations.
Et on emmena ma femme de chambre!
Eh bien, le croirais-tu, ce qui dominait en moi ce n'était pas la colère d'avoir été jouée ainsi, trompée et ridiculisée; ce n'était pas la honte d'avoir été ainsi habillée, déshabillée, maniée et touchée par cet homme... mais une... humiliation profonde... une humiliation de femme. Comprends-tu?
--Non, pas très bien?
--Voyons.... Réfléchis.... Il avait été condamné... pour viol, ce gar?on... eh bien! je pensais... à celle qu'il avait violée... et ?a..., ?a m'humiliait.... Voilà.... Comprends-tu, maintenant?
Et Mme Margot ne répondit pas. Elle regardait droit devant elle, d'un oeil fixe et singulier les deux boutons luisants de la livrée, avec ce sourire de sphinx qu'ont parfois les femmes.

LE PèRE
[Illustration]
LE PèRE
Comme il habitait les Batignolles, étant employé au ministère de l'instruction publique, il prenait chaque matin l'omnibus, pour se cendre à son bureau. Et chaque matin il voyageait jusqu'au centre de Paris, en face d'une jeune fille dont il devint amoureux.
Elle allait à son magasin, tous les jours, à la même heure. C'était une petite brunette, de ces brunes dont les yeux sont si noirs qu'ils ont l'air de taches, et dont le teint à des reflets d'ivoire. Il la voyait appara?tre toujours au coin de la même rue; et elle se mettait à courir pour rattraper la lourde voiture. Elle courait d'un petit air pressé, souple et gracieux; et elle sautait sur le marche-pied avant que les chevaux fussent tout à fait arrêtés. Puis elle pénétrait dans l'intérieur en soufflant un peu, et, s'étant assise, jetait un regard autour d'elle.
La première fois qu'il la vit, Fran?ois Tessier sentit que cette figure-là lui plaisait infiniment. On rencontre parfois de ces femmes qu'on a envie de serrer éperdument dans ses bras, tout de suite, sans les conna?tre. Elle répondait, cette jeune fille, à ses désirs intimes, à ses attentes secrètes, à cette sorte d'idéal d'amour qu'on porte, sans le savoir, au fond du coeur.
Il la regardait obstinément, malgré lui. Gênée par cette contemplation, elle rougit. Il s'en aper?ut et voulut détourner les yeux; mais il les ramenait à tout moment sur elle, quoiqu'il s'effor?at de les fixer ailleurs.
Au bout de quelques jours, ils se connurent sans s'être parlé. Il lui cédait sa place quand la voiture était pleine et montait sur l'impériale, bien que cela le désolat. Elle le saluait maintenant d'un petit sourire; et, quoiqu'elle baissat toujours les yeux sous son regard qu'elle sentait trop vif, elle ne
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