Contes des fees | Page 8

Robert de Bonnières
bonté.
LA FéE
?Dis, que veux-tu pour bonne récompense?
MULOT
?Dam! rien.
LA FéE
?Quoi! rien?
MULOT
?Rien du moins que je pense.?
LA FéE
--?Oh! oh! Le cas est rare en vérité,?Et je vois bien qu'il faut que je vous aide.?--?Et je sais trop, se dit-elle en songeant,??Par où le prendre: il n'est souci d'argent?Que l'homme riche ou pauvre ne possède.??Et ce disant la Feé avait raison:?Dépense induit en nouvelle dépense.?Richesse autant que misère dispense?D'avoir un sou vaillant à la maison.
LA FéE
?Ami Mulot, veux-tu devenir riche?A ton souhait?
MULOT
?Et ne le suis-je pas??Ma femme et moi faisons nos deux repas,?Ma belle Dame, et mon bien n'est en friche.?J'ai pour ma vache assez de foin fauché,?Mes trois pommiers emplissent dix corbeilles.??Je mouds vingt sacs de seigle, et les abeilles?Valent, par an, deux écus au marché.?Je puis encor tous les jours de l'année?--Sans vous facher--donner aux pauvres gens,?Clercs en voyage ou moines indigents,?L'aide du ciel que je vous ai donnée.
LA FéE (à part.)
--?Le Roi toujours n'eut si bon compagnon,?Et noble coeur fait souche de noble homme.?Mulot, ma foi! serait bon gentilhomme.?On en a vu bien d'autres: pourquoi non?
(S'adressant à Mulot.)
?Ma?tre Mulot, veux-tu que je te fasse?Seigneur céans, écuyer ou baron??J'attacherai moi-même l'éperon.?Tu prendras nom Mulot de Bonne-Face;?Et tu pourras porter en mon honneur?Le champ d'azur de mon blason de Fée?Dragon d'argent et colombe coiffée.?Et si sur ce quelque beau raisonneur?Vient à gloser, il l'ira dire à Rome!?
MULOT
--?Je suis certain, belle Dame, à vous voir?Que vous avez magnifique pouvoir?Et ne voulez vous rire d'un pauvre homme.?Mais, voyez-vous, honneurs sont dangereux.?L'autre semaine en notre voisinage?Un vieux Seigneur, à peu près de mon age,?Fut bien occis aux croix du chemin creux.?Il fut, pourtant, charitable en sa vie,?De bon esprit comme de bon aloi.?Je ne pourrais, en mon nouvel emploi,?Non mieux que lui, me garder de l'envie.?Car je ne suis bien savant ni bien fort,?Et n'eus jamais encrier ni rapière.?Et sans compter que mon cousin Grand-Pierre?Se gausserait certe, et n'aurait pas tort.?
III
COMMENT LA FéE VOULUT RENDRE A MULOT ET A MULOTTE?LA JEUNESSE, ET DE LA BONNE ODEUR DE?LILAS QUI SE RéPANDIT DANS LA CABANE
Quoiqu'un peu sotte en toute cette affaire,?La bonne Fée eut le coeur de chercher?Quel nouveau don le pourrait bien toucher?Et quel grand bien elle lui pourrait faire:?Et tout à coup elle lui demanda:
--?Aimes-tu bien ta femme?
MULOT
?Il n'est, pardienne!?Bonne besogne encore que la sienne.
LA FéE
?Et l'as-tu bien toujours aimée?
MULOT
?Oui-da!?Je m'en souviens, elle était de votre age,?C'était le mois qui suivit la moisson,?Il se peut bien alors qu'un bon gar?on?Fasse sa cour sans manquer à l'ouvrage.?Et, sans avoir le teint que vous avez,?Elle était bonne et belle à sa manière?Et fra?che ainsi qu'une fleur printanière.?Bref, en deux mois nous étions arrivés?(Nous connaissant déjà de longue date)?A nous aimer. Si bien que les voisins?En me voyant ramener ses poussins,?Fendre le bois et lui porter sa jatte,?Disaient:--A quand la noce et le repas??Quoique la chose encor ne f?t pas faite,?Car les parents sont toujours de la fête.?Et cependant ils ne se trompaient pas.?J'étais un gars de quelque économie,?Et je sus bien, le jour qu'il en fut temps,?Aller quérir vingt bons sous d'or comptants?Pour les bailler aux parents de ma mie.?Et depuis, dam! j'ai semé notre blé,?Et nous avons vécu toujours ensemble.?N'est-ce pas tout vous dire, ce me semble??Le temps, ainsi que l'eau coule, a coulé.?
--?Ma?tre Mulot,? lui dit la bonne Fée,?--Et dans l'instant, le vent de renouveau?Qui remplit l'air vous e?t pris le cerveau,?Comme un parfum de lilas par bouffée.--??Ma?tre Mulot, veux-tu redevenir?Jeune, et revivre une jeunesse telle?Avec Mulotte?--Et Mulotte veut-elle?En même temps que Mulot rajeunir??Parle, Mulot,--et parle aussi, Mulotte;?Car jusqu'ici tu n'as beaucoup parlé,?Et Fée ou femme, en notre démêlé,?N'e?t pas manqué de porter la culotte.?
Mulotte, ainsi qu'elle e?t fait à vingt ans,?Baissa les yeux; car, pour femme soumise,?Parler devant son homme n'est de mise:?L'exemple est bon aux femmes de tous temps.
Et Mulot dit:
--?Si ma pensée est nette,?Respect gardé, pourtant je ne puis point?Vous satisfaire encore sur ce point?Non plus que faire une réponse honnête.?Excusez-en, Madame, un vieux barbon.?Vivre deux fois est-il un avantage,?Et si je fais peau neuve en mon grand age,?Serais-je bien Mulot pour tout de bon??L'homme se prend aux ruses qu'il machine.?Et je préfère encor ne rien changer,?Bon b?cheron n'a son fagot léger,?Et les ans lourds, qui me courbent l'échine,?M'ont plu comme un fagot à fagoter,?Et bien qu'encor la charge soit pesante,?Je crois qu'avec Mulotte, ici présente,?Nous viendrons bien à bout de la porter.?Votre bonté passe en tout mon envie,?Et pour ma part j'ai le sens trop étroit?Pour être induit à tenter par surcroit?Le sort chanceux d'une seconde vie.?
IV
COMMENT LA FéE EN BONNE PERSONNE BUT ET MANGEA?AVEC MULOT ET MULOTTE
Le Conteur dit que l'on ne poussa pas,?Et que la Fée était bonne personne.
--?Chacun, dit-elle, à sa mode en raisonne,?Ami Mulot. Vous êtes, en tout cas,?De braves gens,--le reste vous regarde.?
Puis, honorant Mulot comme il voulait,?Elle trempa du pain bis dans du lait?Et but
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