Contes des fees | Page 5

Robert de Bonnières
ABEILLES ENTREPRIRENT UN LONG VOYAGE?ET COMMENT ROSE-ROSE ATTENDIT LEUR RETOUR
On ne pouvait pas, en effet,?Contredire en cette occurrence,?Car il n'était pas même en France?De Prince en tout point si parfait:?Et les Abeilles, à l'entendre,?D'une part avaient approuvé?Tout ce que Rose avait rêvé?De beau, de sincère et de tendre,?Mais, d'autre part, le pire était?Que par mainte et mainte contrée?Elles la savaient séparée?De Myrtil, et qu'il habitait?Au delà des terres connues,?En des pays si fort distants,?Qu'il leur faudrait bien bien longtemps?Avant que d'être revenues.?Car le monde est grand, ce dit-on.?Pourtant, nos bonnes confidentes,?Quoique très sages et prudentes,?N'objectèrent rien sur ce ton,?Sachant que l'amour ne raisonne?Et n'en veut qu'à son bon plaisir,?N'ayant le go?t ni le loisir?De croire ou d'entendre personne.?--En rien donc ne contrariant?Son dessein, l'ambassade ailée?Après s'être au ciel assemblée,?Tourna son vol vers l'Orient:?Elle allait si fort admirée,?Comme un globe d'or dans les cieux.?Et paraissait à tous les yeux?Si prompte, si belle et dorée,?Que telle ambassade, je crois,?N'alla du Louvre ou de Versailles?Négocier les fian?ailles?D'aucune fille de nos rois!
Rose ainsi fit qu'aux messagères?Elle avait dit qu'elle ferait;?Chaque jour, elle se parait?D'étoffes blanches et légères;?Les myrtes aux roses mêlés?Ceignaient son front, et s?re d'elle?Et de son bel amour fidèle,?Malgré bien des jours écoulés?Dans l'attente et la solitude,?En son Castel, chaque matin,?Elle attendait l'époux lointain?Sans trouble et sans incertitude.?Et tel était son sentiment?Et sa foi, que la longue attente?Ne la rendait que plus constante,?Et que l'on admirait comment?Sa magnifique indifférence?Mettant la Cour en désarroi?Déconcertait maint fils de Roi?Venu dans une autre espérance,?Son Père était tout déconfit?Et le pauvre homme en cette affaire?Ne savait vraiment plus que faire:?Et que vouliez-vous bien qu'il fit??Larmes, prières, étaient vaines;?Et ce fut tout de même en vain?Qu'il s'enquit d'un fameux devin?Et qu'il ordonna des neuvaines.?Rose n'entendait pas raison.?Et revenait, sans être lasse,?Chaque jour à la même place?Consulter le pale horizon?Dès l'aube.--Et la belle songeuse?Ne songeait à rien qu'à l'amant,?Que lui ramenait s?rement?Son ambassade voyageuse.
IV
COMMENT MYRTIL FIT A TRAVERS LE MONDE UN VOYAGE?MERVEILLEUX QUI DURA CENT ET?CINQUANTE ANNEES.
Myrtil s'était mis en chemin,?Guidé par les bonnes Abeilles.?Lorsqu'il les eut de ses oreilles?Ou?, comme en langage humain,?Qui contaient l'histoire suivie?De son beau songe trait pour trait,?Et comment Rose l'attendrait?S'il le fallait, toute la vie,?Aussit?t le Prince amoureux,?Malgré tout le noble entourage,?Qui ne craignait que son courage?En ce départ aventureux,?Prit une belle et bonne armée?Et se mit en marche à travers?Tant et tant de peuples divers,?Pour retrouver sa bien aimée,?Qu'il n'est Monarque ou Conquérant?Qui, pour de moins belles victoires?Et des travaux moins méritoires,?N'en ait re?u le nom de Grand.
L'Amant, dont la fortune heureuse?N'avait que des coups surprenants,?Par les mers et les continents?Promenait sa gloire amoureuse.?--Mais, si je tire du récit,?Dont j'ai suivi le commentaire,?Qu'il venait du bout de la terre,?Notre monde se rétrécit?Et n'a plus la même apparence;?Car, outre les pays connus?Dont bien des gens sont revenus,?Tels que Chine, Inde, Egypte et France,?Il avait encor parcouru?Bien des mers depuis ignorées?Et de fabuleuses contrées?Qui de ce monde ont disparu:?La mer où chantaient les Sirènes?Et les vallons mélodieux?Peuplés de Héros et de Dieux?Encor chers aux Muses sereines.?Le jardin d'Eden, où tomba?Adam et la race insoumise?Des hommes, la Terre Promise?Et le Royaume de Saba,?La c?te d'Ophir et, près d'elle,?L'or en montagne accumulé,?Le Venusberg, l'?le Thulé,?Où mourut le Vieux Roi fidèle,?Et les terres des Paladins,?Et la Forêt où j'imagine?Que vivaient Morgane et Brangine,?L'Ile d'Armide et ses jardins?Avant Renaud et la Croisade,?Et tout l'Orient enchanté,?En mille et une nuits conté?Par la bonne Schéhérazade:?Et Myrtil allait à travers?Le monde, entrainant à sa suite,?En son amoureuse poursuite,?Tous les peuples de l'Univers!?Car les Abeilles étaient Fées,?Et, dès que son glaive avait lui,?Les rois vaincus dressaient pour lui?Des colonnes et des trophées.
Si le voyage fut si grand?Que je n'ai pu faire le compte?Des merveilles qu'on en raconte,?Je puis, du moins, en comparant?Les dates qui m'en sont données.?Conclure que, pour parcourir?L'Univers et le conquérir,?Il mit cent et cinquante années.[1]
[Note 1: Ce calcul est insuffisant,?Car alors la belle durée?Des longs ans était mesurée?Autrement qu'elle est à présent.
(Note de l'auteur)]
V
COMMENT MYRTIL VIT LE PETIT CASTEL DE CIRE ET?LES ADMIRABLES CHANGEMENTS QUI S'éTAIENT?FAITS DANS LA NATURE DU JARDIN
Il est clair qu'un si grand concours?De peuples en tel équipage?Ne se meut point sans grand tapage.?Donc, par les chemins les plus courts,?Tous les courriers de la frontière?Revenaient en hate, annon?ant?A Rose qu'un Roi tout Puissant?Avait conquis la terre entière?Et n'avait plus qu'à conquérir?Ce seul royaume, en telle sorte?Que son armée était si forte,?Qu'il entrerait sans coup férir.
Rose ou?t ce préliminaire?Comme Reine, sans s'émouvoir,?Ayant hérité du pouvoir?De son père mort centenaire,?(On vivait très vieux en ce temps).?Mais l'on s'étonnait que la Reine?Demeurat d'humeur si sereine?Devant ces périls éclatants.?Or, sans vous creuser la cervelle.?Vous avez deviné comment?Rose ne s'émut nullement?En entendant cette nouvelle,?Car vous pouvez vous figurer?Que quelque Abeille avant-coureuse?Avait dit à notre amoureuse?Plus que de quoi la rassurer.?La Mouche-Fée, à son oreille,?Comme une clochette d'or fin,?Sonna si doucement,
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