Contes de la Becasse | Page 4

Guy de Maupassant
voulez-vous? J'ai eu peur; et, quand on a peur, on ne raisonne plus. Apr��s avoir compris la situation, j'ai bien regrett�� mes cris; mais il ��tait trop tard. Songez aussi que cet imb��cile s'est jet�� sur moi comme un furieux, sans prononcer un mot, avec une figure de fou. Je ne savais m��me pas ce qu'il me voulait.?
Elle me regardait en face, sans ��tre troubl��e ou intimid��e. Je me disais: ?Mais c'est une gaillarde, cette fille. Je comprends que ce cochon de Morin se soit tromp��.
Je repris, en badinant: ?Voyons Mademoiselle, avouez qu'il ��tait excusable, car, enfin, on ne peut pas se trouver en face d'une aussi belle personne que vous sans ��prouver le d��sir absolument l��gitime de l'embrasser.?
Elle rit plus fort, toutes les dents au vent: ?Entre le d��sir et l'action, monsieur, il y a place pour le respect.?
La phrase ��tait dr?le, bien que peu claire. Je demandai brusquement: ?Eh bien, voyons, si je vous embrassais, moi, maintenant; qu'est-ce que vous feriez??
Elle s'arr��ta pour me consid��rer du haut en bas, puis elle dit, tranquillement: ?Oh, vous, ce n'est pas la m��me chose.?
Je le savais bien, parbleu, que ce n'��tait pas la m��me chose, puisqu'on m'appelait dans toute la province ?le beau Labarbe?. J'avais trente ans, alors, mais je demandai: ?Pourquoi ?a??
Elle haussa les ��paules, et r��pondit: ?Tiens! parce que vous n'��tes pas aussi b��te que lui.? Puis elle ajouta, en me regardant en dessous: ?Ni aussi laid.?
Avant qu'elle e?t pu faire un mouvement pour m'��viter, je lui avais plant�� un bon baiser sur la joue. Elle sauta de c?t��, mais trop tard. Puis elle dit: ?Eh bien vous n'��tes pas g��n�� non plus, vous. Mais ne recommencez pas ce jeu-l��.?
Je pris un air humble et je dis �� mi-voix: ?Oh! mademoiselle, quant �� moi, si j'ai un d��sir au coeur, c'est de passer devant un tribunal pour la m��me cause que Morin.?
Elle demanda �� son tour: ?Pourquoi ?a?? Je la regardai au fond des yeux s��rieusement. ?Parce que vous ��tes une des plus belles cr��atures qui soient; parce que ce serait pour moi un brevet, un titre, une gloire, que d'avoir voulu vous violenter. Parce qu'on dirait apr��s vous avoir vue: ?Tiens, Labarbe n'a pas vol�� ce qui lui arrive, mais il a de la chance tout de m��me.?
Elle se remit �� rire de tout son coeur.
?��tes-vous dr?le?? Elle n'avait pas fini le mot ?dr?le? que je la tenais �� pleins bras et je lui jetais des baisers voraces partout o�� je trouvais une place, dans les cheveux, sur le front, sur les yeux, sur la bouche parfois, sur les joues, par toute la t��te, dont elle d��couvrait toujours malgr�� elle un coin pour garantir les autres.
A la fin, elle se d��gagea, rouge et bless��e. ?Vous ��tes un grossier, monsieur, et vous me faites repentir de vous avoir ��cout��.?
Je lui saisis la main, un peu confus, balbutiant: ?Pardon, pardon, mademoiselle. Je vous ai bless��e; j'ai ��t�� brutal! Ne m'en voulez pas. Si vous saviez?...? Je cherchais vainement une excuse.
Elle pronon?a, au bout d'un moment: ?Je n'ai rien �� savoir, monsieur.?
Mais j'avais trouv��; je m'��criai: ?Mademoiselle, voici un an que je vous aime!?
Elle fut vraiment surprise et releva les yeux. Je repris: ?Oui, mademoiselle, ��coutez-moi. Je ne connais pas Morin et je me moque bien de lui. Peu m'importe qu'il aille en prison et devant les tribunaux. Je vous ai vue ici l'an pass��, vous ��tiez l��-bas, devant la grille. J'ai re?u une secousse en vous apercevant et votre image ne m'a plus quitt��. Croyez-moi, ou ne me croyez pas, peu m'importe. Je vous ai trouv��e adorable; votre souvenir me poss��dait; j'ai voulu vous revoir; j'ai saisi le pr��texte de cette b��te de Morin; et me voici. Les circonstances m'ont fait passer les bornes; pardonnez-moi, je vous en supplie, pardonnez-moi.?
Elle guettait la v��rit�� dans mon regard, pr��te �� sourire de nouveau; et elle murmura: ?Blagueur.?
Je levai la main, et, d'un ton sinc��re (je crois m��me que j'��tais sinc��re): ?Je vous jure que je ne mens pas.?
Elle dit simplement: ?Allons donc.?
Nous ��tions seuls, tout seuls, Rivet et l'oncle ayant disparu dans les all��es tournantes; et je lui fis une vraie d��claration, longue, douce, en lui pressant et lui baisant les doigts. Elle ��coutait cela comme une chose agr��able et nouvelle, sans bien savoir ce qu'elle en devait croire.
Je finissais par me sentir troubl��; par penser ce que je disais; j'��tais pale, oppress��, frissonnant; et, doucement, je lui pris la taille.
Je lui parlais tout bas dans les petits cheveux fris��s de l'oreille. Elle semblait morte tant elle restait r��veuse.
Puis sa main rencontra la mienne et la serra; je pressai lentement sa taille d'une ��treinte tremblante et toujours grandissante; elle ne remuait plus du tout; j'effleurais sa joue de ma bouche; et tout �� coup mes l��vres, sans chercher, trouv��rent les siennes. Ce
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