Contes de Caliban | Page 3

Émile Bergerat
ville reconquise, je ne sais plus �� quel corps de l'arm��e de Mac-Mahon avait ��t�� prescrite l'occupation du XVIIe arrondissement. Peut-��tre ��tait-ce �� la division du g��n��ral Clinchant, mais peu importe. Toujours est-il que les f��d��r��s, notamment ceux des Ternes, lui avaient oppos�� une ��nergique r��sistance. On s'��tait battu ferme �� la porte Dauphine d'abord, puis place Wagram, et enfin �� la porte des Ternes m��me, o�� je vois encore un canonnier de la marine, �� demi fou de rage, et assist�� de deux titis du quartier, braquer ��perdument sa pi��ce tant?t sur le mont Val��rien, tant?t sur les tours de Notre-Dame. Ce n'��tait pas que l'opinion politique de ce pointeur f?t incertaine, et tout indiquait en lui, geste, cris et costume, qu'il ne croyait pas travailler �� la gloire de M. Thiers, mais grace �� un jeu de balistique dont l'invention revenait �� ses jeunes servants d'artillerie, la caronade, virant sur son axe comme toupie, balayait tour �� tour Sablonville et l'avenue ternoise, impartialement.
Bibi et Coco--tels ��taient les noms hom��riques de ces apprentis Jomini--s'en gondolaient sur le talus des fortifs. Quant au canonnier, je n'ai pas besoin de vous dire que, quoique de premi��re classe, il n'abattait, et en tous sens, que des chemin��es, dans le ciel, et des platanes, sur la terre.
Encore n'��tait-ce pas des platanes. A cette ��poque, ce charmant quartier, o�� j'aurai fid��lement v��cu ma vie, depuis lors annex�� �� la p��riph��rie, et comme suburbain encore, ��tait un bois v��ritable ou plut?t un parc, sem�� de maisonnettes ouvrant sur des jardinets d��bordants de lilas de Perse et que traversait l'avenue dite des Ternes, charmille d'acacias. C'��tait donc des grappes roses ou blanches et des gerbes violettes qu'��branchait la caronade giratoire, et la large voie en ��tait pleine.
Des aides cocasses et hilares de l'hoffmannesque canonnier, sp��cimens du type populaire de Gavroche, point de portraits �� faire, n'est-ce pas, apr��s l'auteur des _Mis��rables_? Ils ne diff��rent point d'une zone municipale �� l'autre, et le moineau franc les symbolise �� merveille. Rien de plus candide dans la d��moralisation, inn��e ou ��ducatrice, de plus sensible m��me dans le fatalisme, que ces petits Parigots, model��s du limon de la bonne Lut��ce, qui pleurent sans larmes, en dedans, rient sans joie, comme le singe, et �� qui, d��s quatorze ans, la vie n'a plus rien �� enseigner. Bibi et Coco, d'ailleurs ins��parables, en avaient acquis les premi��res notions �� la fr��quentation d'abord des chiens errants, qui sont d'admirables mod��les, puis au bal Dourlans, de d��mocratique souvenance, o�� j'ai assist��, moi qui vous parle, �� des cours pratiques de rossignolisme, entrem��l��s de chor��graphie pour les deux sexes, qui ont donn�� bien des colons �� la Nouvelle-Z��lande. Pour diversifier un peu cette instruction libre et sommaire, les parents des jeunes chicards avaient eu recours au vieux moyen p��dagogique de nos p��res, encore accr��dit�� dans la banlieue, et ils avaient pri�� l'abb�� Garbut, troisi��me vicaire de la paroisse, de cat��chiser leur prog��niture, c'est-��-dire de les mettre au cat��chisme, livre abr��g�� du bien et du mal.
Tout m'oblige �� constater qu'ils n'y avaient point du tout mordu. Les cours s'��taient espac��s d��s le d��but de l'initiation, et Dourlans avait repris ses disciples. Mais lorsqu'ils rencontraient l'abb�� sous les acacias, Bibi et Coco lui tiraient gentiment leur casquette, dont les ponts montaient de jour en jour. Un si brave homme, le troisi��me vicaire, et doux, et charitable, et simple, m��me d'esprit, comme le R��dempteur veut ses ap?tres. Sa d��votion �� la sainte Vierge Marie n'en laissait rien �� celle des bonnes gens du moyen age, et, pr��pos�� sp��cialement �� sa chapelle, jamais il n'en laissait l'autel sans fleurs, f?t-ce l'hiver, o�� elles sont rares et co?teuses. A plus forte raison en mai, qui est le mois de la Madone.
L'avenue lui en offrait une moisson abondante et toute cueillie, que le tir du marin en d��lire tranchait sur tiges. Il n'y avait qu'�� se baisser pour y ramasser des gerbes odorantes. L'abb�� Garbut ne put y tenir et, du perron de l'��glise, il s'��lan?a sur la place, en faisant d��j�� tablier de sa soutane. Et comme il se baissait pour le remplir, un boulet de canon enrag��, le dernier, l'abattit sur le trottoir comme une quille.
Bibi et Coco le virent tomber, et ils le reconnurent. Ils venaient de lacher le _Jean-Bart_ et sa caronade ��puis��e de munitions, et ils songeaient �� se tapir dans quelque trou s��rieux, pour se soustraire �� la curiosit�� d'un nombre grossissant de pantalons rouges qui surgissaient de toutes les rues traversi��res et dessinaient leur mouvement de jonction vers le centre du quartier.
--As-tu vu?... dit Coco �� Bibi, le dernier est dans le mille. Tu sais, c'est le vicaire.
--Oui, pas de chance, fit Bibi �� Coco, c'est un zig, quoique ratichon.
--?a, pour s?r que celui-l�� n'a jamais fait de mal �� personne.
Et ils se regard��rent.
--Si
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