Contes dAmérique | Page 7

Louis Mullem
trait, comme une colombe, avec un bruit d'ailes dans sa légère robe d'été.
Elle allait, sans effronterie, mais sans hésitation, tenant de ses mains finement gantées l'ombrelle et la valise. Elle avait la démarche gaie d'une pensionnaire à peine entrée dans la vie libre et qui se sent encore enveloppée de sympathie dans toute l'atmosphère sociale.
Elle suivait les rues, les squares, les places, les quais; sites numérotés à tous les angles et nullement honorés, comme dans les villes séculaires, de noms célèbres plus ou moins connus.
Grace à ce système, cependant, miss Ellen n'avait qu'à prendre, aux carrefours, le chiffre le plus élevé pour atteindre, sans consulter personne, la rue lointaine de son propriétaire. Elle y arriva, méthodiquement, en deux petites heures ou, si vous le préférez, en une grande heure trois quarts.
Le numéro 125 de la Quatre-Vingt-Onzième Rue était d'aspect tranquille et honnête; une propreté méticuleuse luisait sur les volets peints en vert, sur les vitres polies, derrière lesquelles se relevaient à demi des rideaux de mousseline, et jusque sur les feuilles des plantes grasses qui faisaient, avec leurs poteries de terre rouge vernissée, l'ornement intérieur des deux fenêtres du rez-de-chaussée.
Chaque détail souriait d'un effet de lumière, et les rayons du soleil, tombant alors obliquement sur la porte, étaient vivement reflétés par une plaque de cuivre où des lettres noires, creusées dans le métal, annon?aient le logis de ?Josuah Brog-Hill, D.-M.?
--C'est ici, se dit miss Ellen.
Et fort hésitante, elle parut se demander:
--Que diable viens-je faire dans cette maison et quel langage dois-je tenir?
Mais un regard jeté sur la sacoche enflée des vingt mille dollars lui rendit la notion du devoir, et elle étendait la main vers le bouton de la sonnette quand la porte s'ouvrit d'elle-même.
Une respectable vieille dame, de noir vêtue, à tournure de gouvernante et de quakeresse, se montra dans l'encadrement.
--Le ma?tre y est-il? demanda miss Ellen.
La figure de la dame prit une expression très cordiale.
--Votre santé est bonne, j'espère, miss Ellen, dit-elle du ton le plus aimable.--Certainement le ma?tre est à la maison, veuillez me suivre.
Et prenant les devants après avoir refermé la porte de la rue, elle conduisit la visiteuse vers un petit parloir situé à l'autre extrémité du corridor.
Ellen Kemp éprouva quelque surprise à s'entendre nommer par cette vénérable introductrice.
--Avais-je l'honneur d'être connue de vous, madame? demanda-t-elle.
--Non, miss Ellen, mais en conjecturant d'après les circonstances..., j'avais deviné, ou plut?t supposé..., excusez-moi...
La dame semblait intimidée du regard étonné d'Ellen Kemp et parlait avec un embarras visible.
--Vous attendrez deux minutes au plus, dit-elle, et je reviendrai vous prendre.
Et elle sortit après avoir courtoisement invité miss Ellen à s'asseoir.
Demeurée seule, Ellen Kemp sentit qu'enfin son coeur battait un peu d'effroi, tant l'aspect de toute chose, dans cette demeure, était à la fois coquet et imposant.
Le parloir, petite pièce carrée, montrait l'ameublement le plus simple, mais à travers la fenêtre ouverte on voyait une cour inondée de soleil et ornée d'une jolie fontaine de marbre à jet d'eau dont la poussière irisée rafra?chissait d'innombrables fleurs rares et resplendissantes s'étageant sur des gradins jusqu'aux murailles tapissées de lierre.
Un merle, dans une cage accrochée aux feuilles, se prit tout à coup à siffler une note amusante, comme pour souhaiter la bienvenue.
Sauf ce merle, tout se taisait dans la maison, et on percevait un silence d'assoupissement sous la lourde chaleur de l'été.
--Le docteur Josuah doit être un gentleman très comme il faut, pensa miss Ellen; il aime, à coup s?r, le confortable et la sérénité. On doit vivre heureux sous ce toit; les passions sont peu turbulentes ici. J'imagine que le docteur n'est plus de la première jeunesse...
Cette hypothèse en provoquait nombre d'autres; mais la vieille dame était revenue dans le parloir, toujours souriante et sans plus de bruit qu'une nuée nageant sous un ciel clair.
--Venez, chère miss Ellen, le docteur vous attend.
Ellen Kemp, se roidissant contre un petit tremblement nerveux qui l'envahissait, se leva et marcha, tenant toujours à la main son ombrelle et le sac aux dollars.
La chambre du docteur était au premier étage, juste au-dessus du parloir qu'on venait de quitter.
Au milieu de l'escalier, Ellen Kemp se mit à trembler plus fort en pensant que le docteur pouvait bien aussi être un homme jeune et beau.
--N'est-ce pas là, se dit-elle, ce qui l'oblige à prendre une si vieille intendante?
Une porte s'ouvrit.
--Miss Ellen Kemp! annon?a la respectable dame d'une voix avenante.
--Miss Ellen Kemp, entrez et asseyez-vous, dit une autre voix plus accueillante encore, et si douce que, malgré sa frayeur et sa honte, maintenant, d'avoir fait un coup de tête ridicule, Ellen Kemp regarda tout d'abord la personne qui venait de parler.
C'était une femme jeune encore et qui, sans être belle, avait ce charme singulier que donne au visage une intelligence peu commune; ses cheveux, d'un blond satiné, encadraient un beau front aux tempes bien pleines et retombaient, sans se boucler,
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