Contes choisis de la famille | Page 7

Les frères Grimm
fois qu'il avait avalé un morceau, il s'empressait de courir à la lucarne par laquelle ils avaient pénétré dans la cave, afin de prendre la mesure de son ventre.
étonné de ce manège, le loup lui dit entre deux coups de dents.
--Ami renard, explique-moi donc pourquoi tu perds ainsi ton temps à courir de droite à gauche, puis à passer et à repasser par ce trou?
--C'est pour m'assurer que personne ne vient, reprit le rusé renard. Que votre seigneurie prenne seulement garde de se donner une indigestion.
--Je ne sortirai d'ici, répliqua le loup, que lorsqu'il ne restera plus rien dans le tonneau.
Dans l'intervalle, arriva le paysan, attiré par le bruit que faisaient les bonds du renard. Ce dernier n'eut pas plut?t aper?u notre homme, qu'en un saut il fut hors de la cave; sa seigneurie le loup voulut le suivre, mais par malheur, il avait tant mangé que son ventre ne put passer par la lucarne, et qu'il y resta suspendu. Le paysan eut donc tout le temps d'aller chercher une fourche dont il per?a le pauvre loup.
Sans sa gloutonnerie, se dit le renard, en riant dans sa barbe, je ne serais pas encore débarrassé de cet importun compagnon.

LA CHOUETTE.
Il y a environ quelques siècles, lorsque les hommes n'étaient pas encore aussi fins et aussi rusés qu'ils le sont aujourd'hui, il arriva une singulière histoire dans je ne sais plus qu'elle petite ville, fort peu familiarisée, comme on va le voir, avec les oiseaux nocturnes.
A la faveur d'une nuit très-obscure, une chouette, venue d'une forêt voisine, s'était introduite dans la grange d'un habitant de la petite ville en question, et, quand reparut le jour, elle n'osa pas sortir de sa cachette, par crainte des autres oiseaux qui n'auraient pas manqué de la saluer d'un concert de cris mena?ants.
Or, il arriva que le domestique vint chercher une botte de paille dans la grange; mais à la vue des yeux ronds et brillants de la chouette tapie dans un coin, il fut saisi de frayeur, qu'il prit ses jambes à son cou, et courut annoncer à son ma?tre qu'un monstre comme il n'en avait encore jamais vu se tenait caché dans la grange, qu'il roulait dans ses orbites profondes des yeux terribles, et qu'à coup s?r cette bête avalerait un homme sans cérémonie et sans difficulté.
--Je te connais, beau masque, lui répondit son ma?tre; s'il ne s'agit que de faire la chasse aux merles dans la plaine, le coeur ne te manque pas; mais aper?ois-tu un pauvre coq étendu mort contre terre, avant de t'en approcher, tu as soin de t'armer d'un baton. Je veux aller voir moi-même à quelle espèce de monstre nous allons avoir affaire.
Cela dit, notre homme pénétra d'un pied hardi dans la grange, et se mit à regarder en tous sens.
Il n'eut pas plut?t vu de ses propres yeux l'étrange et horrible bête, qu'il fut saisi d'un effroi pour le moins égal à celui de son domestique. En deux bonds il fut hors de la grange, et courut prier ses voisins de vouloir bien lui prêter aide et assistance contre un monstre affreux et inconnu:
--Il y va de votre propre salut, leur dit-il; car si ce terrible animal parvient à s'évader de ma grange, c'en est fait de la ville entière!
En moins de quelques minutes, des cris d'alarme retentirent par toutes les rues; les habitants arrivèrent armés de piques, de fourches et de faux, comme s'il se f?t agi d'une sortie contre l'ennemi; puis enfin parurent, en grand costume et revêtus de leur écharpe, les conseillers de la commune avec le bourgmestre en tête. Après s'être mis en rang sur la place, ils s'avancèrent militairement vers la grange qu'ils cernèrent de tous c?tés. Alors le plus courageux de la troupe sortit du cercle, et se risqua à pénétrer dans la grange, la pique en avant; mais on l'en vit ressortir aussit?t à toutes jambes, pale comme la mort, et poussant de grands cris.
Deux autres bourgeois intrépides osèrent encore après lui tenter l'aventure, mais ils ne réussirent pas mieux.
A la fin, on vit se présenter un homme d'une stature colossale et d'une force prodigieuse. C'était un ancien soldat qui, par sa bravoure, s'était fait une réputation à la guerre.
--Ce n'est pas en allant vous montrer les uns après les autres, dit-il, que vous parviendrez à vous débarrasser du monstre; il s'agit ici d'employer la force, mais je vois avec peine que la peur a fait de vous autant de femmes.
Cela dit, notre valeureux guerrier se fit apporter cuirasse, glaive et lance, puis il s'arma en guerre.
Chacun vantait son courage, quoique presque tous fussent persuadés qu'il courait à une mort certaine.
Les deux portes de la grange furent ouvertes, et l'on put voir alors la chouette qui était allée se poser sur une poutre du milieu. Le soldat se décida à monter
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