qui fit sur elle une impression décisive et salutaire. Aveuglée par
l'extrême tendresse de son père, Gabrielle s'abandonnait plus que
jamais à toutes ses étourderies, et devenait, sans s'en apercevoir, d'une
indocilité dont le général Dostanges souffrit quelque temps en silence,
mais sur laquelle il finit par éclater avec une vivacité qui effraya sa fille,
et lui fit sentir qu'il est souvent des bornes pour l'indulgence. M.
Dostanges avait les yeux trop clairvoyants, et surtout trop grand usage
du monde, pour ne pas s'apercevoir des défauts de sa fille.
L'amour-propre, dompté longtemps par l'amour paternel, se livra donc à
toute son explosion.
Gabrielle avait deux serins qu'elle aimait beaucoup; mais, trop légère
pour les soigner elle-même, elle les confiait à la garde particulière d'une
femme de charge dont l'obligeance et la bonté ne pouvaient être
comparées qu'à l'attachement qu'elle portait à sa jeune maîtresse. Le
couple chéri préparait sa couvée, et déjà deux petits oeufs ornaient le
nid qui leur était destiné. La cage habitée par les deux serins était
suspendue au plafond de la chambre à coucher de Gabrielle, d'où on la
descendait au moyen d'une poulie. La corde à laquelle cette cage était
attachée commençait à s'user, sans qu'on s'en fût aperçu. Un matin que
l'excellente femme de charge descend l'habitation des serins pour y
renouveler les graines accoutumées, la corde se rompt, la cage tombe
sur le parquet, et les deux oeufs, objet de la plus tendre espérance, sont
brisés, au grand regret de celle qui les soignait avec tant de zèle et
d'assiduité. On conçoit quel fut le chagrin de Gabrielle: il était légitime;
mais ce qui ne le parut pas aux yeux du père, ce furent les lamentations
outrées de sa fille. Elle voulut faire gronder la femme de charge, bien
innocente de ce malheur, et la priver peut-être de la confiance dont
l'honorait le général. Les plaintes de la jeune étourdie furent si amères,
ses reproches à la pauvre femme de charge furent si accablants, que M.
Dostanges, souvent trop indulgent pour mille extravagances, mais qui
était inexorable pour les vice du coeur, s'emporta contre Gabrielle avec
une telle violence, que celle-ci en fut terrifiée. Il lui fallut fuir la
présence d'un père qu'elle aimait, et passer le reste de la journée dans sa
chambre, d'où elle ne sortit que le lendemain, aux sollicitations
réitérées de l'excellente femme qu'elle avait traitée avec tant d'injustice
et de cruauté.
Cette aventure avait fait une vive impression sur notre enfant gâtée.
Elle fut tenue secrète, et Gabrielle espérait bien quelle resterait dans
l'oubli; mais, la première fois qu'elle se rendit dans le bosquet solitaire
auprès duquel se formait le comité des bergères, elle les entendit
s'égayer en ces mots sur son compte: «Voyez-vous c't' injustice, c't'
inhumanité, disait l'une, d' vouloir faire chasser la femme d' charge du
château pour un p'tit accident qu'ell' n' pouvait prévoir!--Ça s'imagine,
disait l'autre, qu'on n' doit jamais broncher, parc' qu'on est à son
service.... Vouloir perdre une brave femme qui tant d' fois l'a portée sur
ses bras; et ça pour deux oeufs d'serins!
--J' n'aurais jamais cru ça d'elle, ajoutait une troisième: fiez-vous donc à
toutes ces mam'zelles! Ça vous enjôle, ça rit avec vous; et puis ça vous
plante là pour la plus petite faute.--Quoiqu' ça, dit à son tour une
quatrième, je n' suis pas fâchée d' la chose, puisqu'elle a fait ouvrir les
yeux à c' bon général sur les défauts d' sa fille. I' m' parait qu'il l'a m'née
vertement, et il a ben fait.--Faut nous en amuser, dit en riant une
cinquième, la plus espiègle de la bande: la première fois qu'ell' nous
abord'ra, j' l'i d'mand'rons si ses s'rins sont éclos, si ell' récompense ben
la brave femme qui les soigne; enfin, si son père s'amuse toujours d'ses
espiègleries.--Oui, oui! s'écrient à la fois toutes les bergères, ça nous
divertira....» Et aussitôt mille éclats de rire suivirent ce complot,
qu'autorisait l'extrême familiarité de Gabrielle avec toutes les jeunes
paysannes des environs.
Mais celle-ci sut éviter les questions que se proposaient de lui faire les
bergères réunies. Elle sentit que si l'on doit traiter avec égard et bonté
tous ceux qui travaillent à l'agriculture, on peut en même temps garder
la dignité qui nous appartient, et savoir se respecter soi-même. Il se fit
en elle un changement remarquable: plus de disparitions imprévues, de
démarches évaporées, plus de balançoire sur la grande route, et que
rappelaient sans cesse les deux gros sous que Gabrielle portait encore
dans sa bourse; plus de ces criailleries après les petits garçons du
voisinage; plus de reproches amers à la femme de charge, pour laquelle
on la vit redoubler d'estime et d'égards. Elle soigna elle-même ses
serins, et bientôt ils lui donnèrent une seconde couvée qui fut heureuse.
A table, elle ne
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