Contes à la brune | Page 7

Armand Silvestre
m'en tendit un, en
échange de mon aumône, et je ne l'ai pas jeté. Je l'ai même rapporté
avec moi, et, pour que vous n'ayez aucune envie de me railler, ma chère
âme, je vous avouerai que je l'ai mis avec des fleurs que vous m'avez
données autrefois et que j'ai toujours précieusement gardées. C'est un
souvenir de jeunesse que je veux mêler à nos souvenirs d'amour.
[Illustration]
[Illustration]

PROSE DE PÂQUES
Tandis que, dans mon jardin, déjà, une verdure tendre suit, d'une
vapeur d'émeraude, le squelette des arbustes, qu'aux cimes des lilas, de

petites grappes de rubis se dégagent des feuilles pâles et serrées, que les
pousses nouvelles des fusains nuancent de flèches jaunes leur masse
sombre, qu'à terre les bordures s'émaillent, épaissies, piquées çà et là de
petites fleurs sauvages, je sais, dominant ce menu paysage, un grand
peuplier encore marqué au sceau de la désolation hibernale. Son tronc
noir monte droit dans le ciel et se sépare très haut en brins formant
comme un fuseau déchiqueté. Ces petites lignes noires et précises
tracent, sur l'azur indécis d'avril, comme un dessin à la plume, une
façon d'arabesque extrêmement délicate. Sur un point seulement, une
touffe met une bavure d'estompe, une sorte de pâté comme en pose sur
leur cahier la maladresse des écoliers. Au premier abord, vous croiriez
le gui sacré que nos aïeux des Gaules ne fauchaient qu'avec une serpe
d'or. Et, dans la prairie large qu'emplit la solitude exquise et silencieuse
du matin, le rêve évoque volontiers l'image de Velléda la vierge aux
jambes nues, le corps agité de prophétiques frissons, et, plus que jamais,
sous le casque ardent de sa chevelure, méditant les destins obscurs de la
terre douce et féconde où s'achèvent les gloires de la race. Car c'est plus
que jamais qu'il les faut invoquer ces tutélaires génies du sol natal, ces
dieux longtemps endormis dont la pitié marquait d'un signe les
peupliers et les chênes, patrons agrestes des ancêtres au coeur viril dont
le sang tarit dans nos veines!
Mais non! Moi qui connais, dans ses moindres détails, le petit coin de
nature où je vis, je sais fort bien ce qu'est cette houppe sombre
accrochée à la nervure tourmentée de l'arbre éploré, dont les souffles
mauvais de la lune rousse courbent la tête flexible. J'en ai vu partir, l'an
dernier, un peu plus tard, il est vrai, une volée de ramiers, de ces
ramiers confiants de banlieue que l'inexpérience des chasseurs
dominicaux prendra pour des pigeons domestiques, et que protégera la
crainte salutaire des dommages et intérêts. C'est un nid de l'autre
printemps qui est là, un nid où chuchotèrent beaucoup d'angoisses et
beaucoup de tendresses, un nid abandonné, dont les feuillages
renaissants voileront bientôt la mélancolie, comme les espoirs
nouveaux où s'ensevelissent nos tristesses dans un linceul de gaieté,
sans que celles-ci en demeurent moins attachées au plus solide de notre
être, au plus vivant de nos entrailles.

* * * * *
Par quelle association bizarre de pensées, par quel caprice de
rapprochement, me suis-je constamment souvenu de ce gîte délaissé,
flottant dans le vent et suspendu dans les branches, devant les boutiques
fastueuses où l'oeuf pascal, sous toutes ses formes, emplissait hier les
devantures? Non plus le petit oeuf teint de rouge qui constituait, dans
notre enfance, le plus économique des présents. Car c'est tout au plus si
quelques marchands ambitieux et dans le but coupable d'en augmenter
le prix, découpaient sur les plus beaux, avec la pointe d'un canif, le
portrait d'une cathédrale. Mais l'oeuf nouveau, l'oeuf magnifique,
obligatoire mais non gratuit, qui est comme le café des étrennes dont le
petit Noël avait été l'apéritif, invention des petites dames plus que des
mères de famille, joie des cocottes beaucoup plus que tranquillité des
parents. De tous les arts qui ont progressé dans le siècle, celui de
demander est certainement un des mieux partagés. Ce temps a été dur
pour les fois réconfortantes et les illusions généreuses, mais il a
beaucoup fait pour la quémanderie. Il a tué les nobles colères, mais il a
perfectionné le pourboire. Le laurier a symbolysé certaines époques. La
carotte servira d'emblème à celle-ci. Je dis tout cela sans amertume; car
je ne sais rien de plus charmant que la mode des cadeaux entre gens qui
s'aiment. C'est l'idée de réglementer cette mode qui me convient moins
et lui ôte, pour moi, beaucoup de sa poésie.
Oeufs sur oeufs derrière les vitrines! Oeufs de moineaux et oeufs
d'autruche! Oeufs monstrueux qu'on pourrait prendre pour le globe de
l'oeil des mammouths immenses récemment découverts et qui nous
prouvent que nous autres de la race humaine sommes une simple
vermine sur la peau recroquevillée d'un monde qui s'éteint. Est-ce que
l'univers va finir dans une immense omelette? Surprises que tout cela!
Mais surprises inouïes. Boîtes
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