Contes, Nouvelles et Récits | Page 9

Jules Janin
mine, une
contre-mine, une barricade. Il excellait à planter un drapeau gris de lin
(c'était la couleur du drapeau du Ludistan) sur les tourelles les plus
élevées; il entrait par la brèche et défiait les canons les mieux rayés.
Avec cela, modeste un peu plus qu'il ne convient à des victorieux. Quoi
d'étonnant? il avait appris la modestie à l'école d'un jeune lièvre qui
tirait un coup de pistolet, et qui respirait l'odeur de la poudre avec
autant de bonheur que la suave odeur du thym ou du serpolet.

[Illustration: Malbroug s'en va-t-en guerre.]
Ce brave Azor menait de front l'utile et l'agréable; en même temps qu'il
enseignait l'exercice à son élève, il lui montrait comment on plaît aux
dames; il relevait le mouchoir de celle-ci, il présentait ses gants à
celle-là. Il sautait pour le roi, pour la reine, et parfois pour le ministre.
Il flattait le riche, et voilà le miracle: il épargnait le pauvre! Enfin,
docile à ces exemples, Noémi plaisait à tout le monde.
Aussi bien la reine et le roi ne tarissaient pas sur les louanges de leur
fils adoptif: «Il a tout deviné, disaient-ils; sans maître, il apprend toutes
choses; à la chasse on ne sait pas comment il s'y prend, mais jamais il
ne revient bredouille.» Ils ne se doutaient pas, ces bons princes, que
l'épagneul faisait lever tout ce gibier sur les pas de son cher Noémi.
«Et maintenant, se disait maître Azor, il ne manque à mon disciple que
d'être un ménager de son propre bien, et il le menait dans le domaine
des fourmis.--Je veux aussi qu'il soit un habile artiste,» et de bonne
heure il l'éveillait pour qu'il entendit le tireli joyeux de l'alouette
matinale. Il faisait de toutes les créatures de ce bas monde autant de
maîtres excellents pour l'enfant de son adoption: le cygne enseignait à
nager au petit Lysis, le corbeau à prévoir la pluie et le beau temps.--«Je
veux aussi qu'il apprenne à respecter les vieilles gens, disait le bon
épagneul; il sera complet si jamais il se montre aussi bon qu'il est
habile et courageux.»
Justement, passait dans le sentier qui revient de la forêt, une humble
vieille aux cheveux tout blancs, aux mains tremblantes. Elle portait, sur
son épaule voûtée, un lourd fardeau d'épines qu'elle avait ramassa, brin
à brin, dans la forêt, et d'un pas chancelant elle regagnait sa cabane.
Hélas! il y avait encore bien loin de ce lieu au désert habité par la
vieille; elle était harassée, elle s'avouait vaincue.
«Ah! malheureuse, je n'irai pas plus loin, disait-elle, et comment se
chauffera ma petite Rachel!»
En ce moment passa le jeune homme suivi de son fidèle Azor. Noémi
était mécontent, il avait fait mauvaise chasse et s'en revenait les mains

vides. Ce fut pourquoi sans doute il continua son chemin sans regarder
la vieille et son fardeau. Mais celle-ci: «Mon enfant, dit-elle (elle disait
cela d'un ton sévère), il est mal à vous de ne pas faire au moins quelque
attention à une malheureuse femme qui pourrait être votre aïeule;
avez-vous donc le coeur assez dur pour m'abandonner au milieu du
chemin, en proie à tant de misère, et ne m'aiderez-vous point à porter
mon fardeau?...» Il faisait la sourde oreille, il avait froid, il avait faim et
n'était pas touché du froid et de la faim de cette infortunée. Azor,
disons mieux, Mentor, voulant donner cette leçon de bonté à son élève,
poussait de son mieux le fagot d'épines et déjà son museau était tout en
sang... «Mauvais coeur, disait la vieille, il n'a pas honte de recevoir de
son chien cette leçon d'humanité!» La leçon ne fut pas perdue, et
Noémi, revenant sur ses pas, chargea le fagot sur ses épaules:
«Allons, vous le voulez!» dit-il à la vieille; elle marcha la première, il
la suivit sans remarquer les épines et les ronces qui tantôt rayaient son
front et tantôt menaçaient ses yeux. Oh! miracle excellent de la charité!
plus il marchait, plus le fardeau semblait léger à ses jeunes épaules; de
cet amas de chardons et d'épines sortait une suave odeur de menthe et
de violette des champs; il s'enivrait de sa bonne action. Une bonne
action est une féerie, elle embellit toute chose. «C'est là, dit la vieille,
en s'arrêtant sur un seuil silencieux.--Quoi, déjà!» reprit le jeune
homme. Au même instant la porte s'ouvrit, et l'on vit apparaître une
charmante enfant vêtue à la façon des princesses d'Asie. «Avouez,
disait la vieille en rangeant son fagot près de la cheminée, que vous
n'êtes pas fâché d'être venu en aide à cette enfant de la fille que j'ai
perdue? Elle est toute ma joie, et pour que rien ne lui manque,
volontiers je demanderais l'aumône.» En même temps, d'un souffle
encore vigoureux, elle soufflait sur la flamme éteinte,
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