à son élève, il lui montrait comment on pla?t aux dames; il relevait le mouchoir de celle-ci, il présentait ses gants à celle-là. Il sautait pour le roi, pour la reine, et parfois pour le ministre. Il flattait le riche, et voilà le miracle: il épargnait le pauvre! Enfin, docile à ces exemples, Noémi plaisait à tout le monde.
Aussi bien la reine et le roi ne tarissaient pas sur les louanges de leur fils adoptif: ?Il a tout deviné, disaient-ils; sans ma?tre, il apprend toutes choses; à la chasse on ne sait pas comment il s'y prend, mais jamais il ne revient bredouille.? Ils ne se doutaient pas, ces bons princes, que l'épagneul faisait lever tout ce gibier sur les pas de son cher Noémi.
?Et maintenant, se disait ma?tre Azor, il ne manque à mon disciple que d'être un ménager de son propre bien, et il le menait dans le domaine des fourmis.--Je veux aussi qu'il soit un habile artiste,? et de bonne heure il l'éveillait pour qu'il entendit le tireli joyeux de l'alouette matinale. Il faisait de toutes les créatures de ce bas monde autant de ma?tres excellents pour l'enfant de son adoption: le cygne enseignait à nager au petit Lysis, le corbeau à prévoir la pluie et le beau temps.--?Je veux aussi qu'il apprenne à respecter les vieilles gens, disait le bon épagneul; il sera complet si jamais il se montre aussi bon qu'il est habile et courageux.?
Justement, passait dans le sentier qui revient de la forêt, une humble vieille aux cheveux tout blancs, aux mains tremblantes. Elle portait, sur son épaule vo?tée, un lourd fardeau d'épines qu'elle avait ramassa, brin à brin, dans la forêt, et d'un pas chancelant elle regagnait sa cabane. Hélas! il y avait encore bien loin de ce lieu au désert habité par la vieille; elle était harassée, elle s'avouait vaincue.
?Ah! malheureuse, je n'irai pas plus loin, disait-elle, et comment se chauffera ma petite Rachel!?
En ce moment passa le jeune homme suivi de son fidèle Azor. Noémi était mécontent, il avait fait mauvaise chasse et s'en revenait les mains vides. Ce fut pourquoi sans doute il continua son chemin sans regarder la vieille et son fardeau. Mais celle-ci: ?Mon enfant, dit-elle (elle disait cela d'un ton sévère), il est mal à vous de ne pas faire au moins quelque attention à une malheureuse femme qui pourrait être votre a?eule; avez-vous donc le coeur assez dur pour m'abandonner au milieu du chemin, en proie à tant de misère, et ne m'aiderez-vous point à porter mon fardeau?...? Il faisait la sourde oreille, il avait froid, il avait faim et n'était pas touché du froid et de la faim de cette infortunée. Azor, disons mieux, Mentor, voulant donner cette le?on de bonté à son élève, poussait de son mieux le fagot d'épines et déjà son museau était tout en sang... ?Mauvais coeur, disait la vieille, il n'a pas honte de recevoir de son chien cette le?on d'humanité!? La le?on ne fut pas perdue, et Noémi, revenant sur ses pas, chargea le fagot sur ses épaules:
?Allons, vous le voulez!? dit-il à la vieille; elle marcha la première, il la suivit sans remarquer les épines et les ronces qui tant?t rayaient son front et tant?t mena?aient ses yeux. Oh! miracle excellent de la charité! plus il marchait, plus le fardeau semblait léger à ses jeunes épaules; de cet amas de chardons et d'épines sortait une suave odeur de menthe et de violette des champs; il s'enivrait de sa bonne action. Une bonne action est une féerie, elle embellit toute chose. ?C'est là, dit la vieille, en s'arrêtant sur un seuil silencieux.--Quoi, déjà!? reprit le jeune homme. Au même instant la porte s'ouvrit, et l'on vit appara?tre une charmante enfant vêtue à la fa?on des princesses d'Asie. ?Avouez, disait la vieille en rangeant son fagot près de la cheminée, que vous n'êtes pas faché d'être venu en aide à cette enfant de la fille que j'ai perdue? Elle est toute ma joie, et pour que rien ne lui manque, volontiers je demanderais l'aum?ne.? En même temps, d'un souffle encore vigoureux, elle soufflait sur la flamme éteinte, et le bois pétillait en mille étincelles: ?Mon jeune ma?tre, attendez, disait la vieille, et vous aurez des chataignes dans un verre de lait chaud.? Ils firent à eux quatre, en comptant ce digne Azor, le meilleur repas qu'ils eussent fait de leur vie. Et quand ils se séparèrent, ils se promirent de se revoir sous le chaume en hiver, sur le bord des épis dorés, au mois de juin.
Le lendemain de cette heureuse journée, le roi Lysis, la reine Lysida, le jeune homme et le caniche se promenaient sur le rivage où murmuraient doucement ces flots d'azur. La vieille en ce moment vint à passer tenant par la main sa petite fille
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