la sortie des montagnes. Nous marchions tranquillement et
lentement au bord d'un chemin peu fréquenté, sans faire attention à une
voiture qui, depuis un quart d'heure, montait lentement le même chemin
que nous. Tout à coup la voiture s'arrête, et trois hommes en descendent.
«Est-ce bien lui? s'écrie l'un.--Oui! répond l'autre qui était borgne; c'est
bien lui! sus! sus!» Mon mari se retourne à ces paroles, et me dit: «Ah!
ce sont les Prussiens! voilà le borgne que j'ai fait! Je le
reconnais!--Cours! cours! lui dis-je, sauve-toi.» Il commençait à
s'enfuir, lorsqu'un de ces hommes abominables s'élance sur moi, me
renverse, place un pistolet sur ma tête et sur celle de mon enfant. Sans
cette idée diabolique, mon mari était sauvé; car il courait mieux que ces
bandits, et il avait de l'avance sur eux. Mais au cri qui m'échappa en
voyant ma fille sous la gueule du pistolet, Karl se retourne, fait de
grands cris pour arrêter le coup, et revient sur ses pas. Quand le scélérat
qui tenait son pied sur mon corps vit Karl à portée: «Rends-toi! lui
cria-t-il, ou je les tue! Fais un pas de plus pour te sauver, et c'est
fait!--Je me rends, je me rends; me voilà!» répond mon pauvre homme;
et il se mit à courir vers eux plus vite qu'il ne s'était enfui, malgré les
prières et les signes que je lui faisais pour qu'il nous laissât mourir.
Quand ces tigres le tinrent entre leurs mains, ils l'accablèrent de coups
et le mirent tout en sang. Je voulais le défendre; ils me maltraitèrent
aussi. En le voyant garrotter sous mes yeux, je sanglotais, je remplissais
l'air de mes gémissements. Ils me dirent qu'ils allaient tuer ma petite si
je ne gardais le silence, et ils l'avaient déjà arrachée de mes bras,
lorsque Karl me dit: «Tais-toi, femme, je te l'ordonne; songe à notre
enfant!» J'obéis; mais la violence que je me fis en voyant frapper, lier et
bâillonner mon mari, tandis que ces monstres me disaient: «Oui, oui,
pleure! Tu ne le reverras plus, nous le menons pendre,» fut si violente,
que je tombai comme morte sur le chemin. J'y restai je ne sais combien
d'heures, étendue dans la poussière. Quand, j'ouvris les yeux, il faisait
nuit; ma pauvre enfant, couchée sur moi, se tordait en sanglotant d'une
façon à fendre le coeur, il n'y avait plus sur le chemin que le sang de
mon mari, et la trace des roues de la voiture qui l'avait emporté. Je
restai encore là une heure ou deux, essayant de consoler et de
réchauffer Maria, qui était transie et moitié morte de peur. Enfin, quand
les idées me revinrent, je songeai que ce que j'avais de mieux à faire ce
n'était pas de courir après les ravisseurs, que je ne pourrais atteindre,
mais d'aller faire ma déclaration aux officiers de Wiesenbach, qui était
la ville la plus prochaine. C'est ce que je fis, et ensuite je résolus de
continuer mon voyage jusqu'à Vienne, et d'aller me jeter aux pieds de
l'impératrice, afin qu'elle empêchât du moins que le roi de Prusse ne fît
exécuter la sentence de mort contre mon mari. Sa majesté pouvait le
réclamer comme son sujet, dans le cas où l'on ne pourrait atteindre les
recruteurs. J'ai donc usé de quelques aumônes qu'on m'avait faites sur
les terres de l'évêque de Passaw, où j'avais raconté mon désastre, pour
gagner le Danube dans une charrette, et de là j'ai descendu en bateau
jusqu'à la ville de Moelk. Mais à présent mes ressources sont épuisées.
Les personnes auxquelles je dis mon aventure ne veulent guère me
croire, et, dans le doute si je ne suis pas une intrigante, me donnent si
peu, qu'il faut que je continue ma route à pied. Heureuse si j'arrive dans
cinq ou six jours sans mourir de lassitude! car la maladie et le désespoir
m'ont épuisée. Maintenant, mes chers enfants, si vous avez le moyen de
me faire quelque petite aumône, donnez-la-moi tout de suite, car je ne
puis me reposer davantage; il faut que je marche encore, et encore,
comme le Juif errant, jusqu'à ce que j'aie obtenu justice.
--Oh! ma bonne femme, ma pauvre femme! s'écria Consuelo en serrant
la pauvresse dans ses bras, et en pleurant de joie et de compassion;
courage, courage! Espérez, tranquillisez-vous, votre mari est délivré. Il
galope vers Vienne sur un bon cheval, avec une bourse bien garnie dans
sa poche.
--Qu'est-ce que vous dites? s'écria la femme du déserteur dont les yeux
devinrent rouges comme du sang, et les lèvres tremblantes d'un
mouvement convulsif. Vous le savez, vous l'avez vu! O mon Dieu!
grand Dieu! Dieu de bonté!
--Hélas! que faites-vous? dit Joseph à Consuelo. Si vous alliez lui
donner une fausse joie; si le déserteur que nous avons contribué à
sauver
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.