Consuelo, Tome 2 | Page 9

George Sand
n'admettait pas la pens??e qu'elle p??t devenir la proie des passions brutales d'un insens??. Mais elle ??prouvait instinctivement la crainte de para??tre ob??ir ?? un sentiment moins ??lev??, moins divin que celui dont elle ??tait anim??e. Elle mit pourtant la clef dans la serrure; mais elle essaya plus de dix fois de l'y faire tourner sans pouvoir s'y r??soudre. Une fatigue accablante, une d??faillance extr?ame de tout son ?atre, achevaient de lui faire perdre sa r??solution au moment d'en recevoir le prix: sur la terre, par un grand acte de charit??; dans le ciel, par une mort sublime.

XLII.
Cependant elle prit son parti. Elle avait trois clefs. Il y avait donc trois portes et deux pi?¨ces ?? traverser avant celle o?1 elle supposait Albert prisonnier. Elle aurait encore le temps de s'arr?ater, si la force lui manquait.
Elle p??n??tra dans une salle vo??t??e, qui n'offrait d'autre ameublement qu'un lit de foug?¨re s?¨che sur lequel ??tait jet??e une peau de mouton. Une paire de chaussures ?? l'ancienne mode, dans un d??labrement remarquable, lui servit d'indice pour reconna??tre la chambre ?? coucher de Zdenko. Elle reconnut aussi le petit panier qu'elle avait port?? rempli de fruits sur la pierre d'?‰pouvante, et qui, au bout de deux jours, en avait enfin disparu. Elle se d??cida ?? ouvrir la seconde porte, apr?¨s avoir referm?? la premi?¨re avec soin; car elle songeait toujours avec effroi au retour possible du possesseur farouche de cette demeure. La seconde pi?¨ce o?1 elle entra ??tait vo??t??e comme la premi?¨re, mais les murs ??taient rev?atus de nattes et de claies garnies de mousse. Un po?ale y r??pandait une chaleur suffisante, et c'??tait sans doute le tuyau creus?? dans le roc qui produisait au sommet du Schreckenstein cette lueur fugitive que Consuelo avait observ??e. Le lit d'Albert ??tait, comme celui de Zdenko, form?? d'un amas de feuilles et d'herbes dess??ch??es; mais Zdenko l'avait couvert de magnifiques peaux d'ours, en d??pit de l'??galit?? absolue qu'Albert exigeait dans leurs habitudes, et que Zdenko acceptait en tout ce qui ne chagrinait pas la tendresse passionn??e qu'il lui portait et la pr??f??rence de sollicitude qu'il lui donnait sur lui-m?ame. Consuelo fut re?§ue dans cette chambre par Cynabre, qui, en entendant tourner la clef dans la serrure, s'??tait post?? sur le seuil, l'oreille dress??e et l'oeil inquiet. Mais Cynabre avait re?§u de son ma??tre une ??ducation particuli?¨re: c'??tait un ami, et non pas un gardien. Il lui avait ??t?? si s??v?¨rement interdit d?¨s son enfance de hurler et d'aboyer, qu'il avait perdu tout ?? fait cette habitude naturelle aux ?atres de son esp?¨ce. Si on e??t approch?? d'Albert avec des intentions malveillantes, il e??t retrouv?? la voix; si on l'e??t attaqu??, il l'e??t d??fendu avec fureur. Mais prudent et circonspect comme un solitaire, il ne faisait jamais le moindre bruit sans ?atre s??r de son fait, et sans avoir examin?? et flair?? les gens avec attention. Il approcha de Consuelo avec un regard p??n??trant qui avait quelque chose d'humain, respira son v?atement et surtout sa main qui avait tenu longtemps les clefs touch??es par Zdenko; et, compl?¨tement rassur?? par cette circonstance, il s'abandonna au souvenir bienveillant qu'il avait conserv?? d'elle, en lui jetant ses deux grosses pattes velues sur les ??paules, avec une joie affable et silencieuse, tandis qu'il balayait lentement la terre de sa queue superbe. Apr?¨s cet accueil grave et honn?ate, il alla se recoucher sur le bord de la peau d'ours qui couvrait le lit de son ma??tre, et s'y ??tendit avec la nonchalance de la vieillesse, non sans suivre des yeux pourtant tous les pas et tous les mouvements de Consuelo.
Avant d'oser approcher de la troisi?¨me porte, Consuelo jeta un regard sur l'arrangement de cet ermitage, afin d'y chercher quelque r??v??lation sur l'??tat moral de l'homme qui l'occupait. Elle n'y trouva aucune trace de d??mence ni de d??sespoir. Une grande propret??, une sorte d'ordre y r??gnait. Il y avait un manteau et des v?atements de rechange accroch??s ?? des cornes d'aurochs, curiosit??s qu'Albert avait rapport??es du fond de la Lithuanie; et qui servaient de porte-manteaux. Ses livres nombreux ??taient bien rang??s sur une biblioth?¨que en planches brutes, que soutenaient de grosses branches artistement agenc??es par une main rustique et intelligente. La table, les deux chaises, ??taient de la m?ame mati?¨re et du m?ame travail. Un herbier et des livres de musique anciens, tout ?? fait inconnus ?? Consuelo, avec des titres et des paroles slaves, achevaient de r??v??ler les habitudes paisibles, simples et studieuses de l'anachor?¨te. Une lampe de fer curieuse par son antiquit??, ??tait suspendue au milieu de la vo??te, et br??lait dans l'??ternelle nuit de ce sanctuaire m??lancolique.
Consuelo remarqua encore qu'il n'y avait aucune arme dans ce lieu. Malgr?? le go??t des riches habitants de ces for?ats pour la chasse et pour les objets de luxe qui en accompagnent le divertissement, Albert
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