Conscience | Page 9

Hector Malot
Caffié.
--Mais....
--Asseyez-vous donc, mon cher monsieur. Il ne faut pas ainsi jeter le
manche après la cognée. Vous m'adressez une proposition, je vous
montre les difficultés qu'elle rencontrera selon moi, mais je ne dis pas
qu'il n'y a pas un moyen de vous tirer d'embarras; c'est à chercher. Il n'y
a que quelques minutes que je vous connais, mais il ne faut pas
longtemps pour apprécier les gens comme vous, et franchement vous
m'inspirez un très vif intérêt.
Où voulait-il en venir? Saniel n'était pas un naïf qui se laisse prendre au
premier mot, et il n'était pas davantage un fat qui accepte bouche
béante les compliments qu'on lui adresse. Pourquoi inspirait-il ainsi un
intérêt subit à ce coquin, qui avait la réputation de pousser la dureté des
hommes d'affaires jusqu'à la férocité. C'était à voir. En attendant il
devait se tenir sur ses gardes.
--Je suis très touché de votre sympathie, dit-il.
--Je veux vous prouver qu'elle est réelle et qu'elle peut devenir efficace.
Vous venez à moi parce que vous avez besoin de trois mille francs. Que
je vous les trouve--et je vous promets de les chercher, bien que cela me
paraît difficile, très difficile--ils assureront votre repos présent; mais
assureront-ils votre avenir, c'est-à-dire vous permettront-ils de
continuer les travaux importants dont vous venez de me parler et sur
lesquels votre ambition compte? Non. Les luttes dans lesquelles vous

vous débattez et vous usez, recommenceront bientôt. Et c'est de ces
luttes que vous devez vous débarrasser pour vous assurer la liberté de
travail qui vous est indispensable si vous voulez marcher droit et vite.
Pour cela, je ne vois qu'un moyen:--vous marier.

IV
Saniel, qui était sur ses gardes et s'attendait à quelque rouerie de la part
de l'agent d'affaires, n'avait pas du tout prévu que ces témoignages
d'intérêt aboutiraient à une proposition de mariage; une exclamation de
surprise lui échappa. Mais elle se perdit dans le tintement de la
sonnette.
Caffié se leva:
--Quel ennui de n'avoir pas de clerc! dit-il.
Il mit à aller ouvrir la porte un empressement qu'il n'avait pas eu pour
Saniel, et qui prouvait que, n'étant pas seul, il n'avait plus les mêmes
craintes d'introduire quelqu'un chez lui.
Ce fut un garçon de banque qui entra.
--Vous permettez, dit Caffié, revenant dans son cabinet et s'adressant à
Saniel; c'est l'affaire d'un instant.
Sous la lampe, le garçon de banque cherchait dans son portefeuille; il
en tira une traite qu'il présenta à Caffié.
--Les fonds sont faits, dit celui-ci.
--Avec vous, monsieur Caffié, les fonds sont toujours faits.
Caffié avait tiré de la poche de son gilet une clef avec laquelle il avait
ouvert la caisse en fer placée derrière son bureau, et tournant le dos à
Saniel ainsi qu'au garçon de banque, il comptait des billets dont ils
entendaient le flat-flat. Il se redressa bientôt et, repoussant la porte de
sa caisse, il posa sous la lampe les liasses qu'il venait de compter. A son
tour, le garçon les compta, et, les ayant placées dans son portefeuille, il
salua.
--Tirez la porte en sortant, dit Caffié qui avait déjà repris son fauteuil.
--N'ayez crainte.
Le garçon de banque parti, Caffié s'excusa pour cette interruption.
--Reprenons notre entretien si vous le voulez bien, mon cher monsieur.
Je vous disais donc qu'il n'y avait pour vous qu'un moyen d'être tiré à
jamais de vos embarras, et que ce moyen vous le trouveriez dans un
bon mariage qui mettrait hic et nunc une somme raisonnable à votre

disposition.
--Mais ce serait folie à moi de me marier en ce moment, quand je n'ai
pas de position à offrir à ma femme.
--Et votre avenir, dont vous parliez tout à l'heure avec tant d'assurance,
n'y avez-vous pas foi?
--Une foi absolue, aussi ferme aujourd'hui que quand je suis entré dans
la lutte, mais plus éclairée. Cependant, comme les autres n'ont pas les
mêmes raisons que moi pour espérer et croire ce que j'espère et crois, je
trouve tout naturel qu'on doute de cet avenir: ce que vous avez fait
vous-même, à l'instant, en ne le trouvant pas bon pour garantir un
simple prêt de trois mille francs.
--Prêt et mariage ne sont pas même chose: un prêt ne vous tire
d'embarras que momentanément, en vous laissant bien des chances
pour que vous soyez obligé d'en contracter successivement plusieurs
autres: ce qui, vous en conviendrez, atténue singulièrement les
garanties que vous pouvez offrir; tandis qu'un mariage vous ouvre tout
de suite la route que votre rêve ambitieux s'est promis de parcourir.
--Je n'ai jamais pensé au mariage.
--Si vous y pensiez?
--Pour cela il faudrait tout d'abord une femme.
--Si je vous en proposais une, que diriez-vous?
--Mais....
--Vous êtes surpris, n'est-ce pas?
--Je l'avoue.
--Mon cher monsieur, je suis l'ami de mes clients et pour
plusieurs,--j'ose
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