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Et je reste debout, face au grand bureau Empire, ne sachant trop s'il vaut mieux garder les talons r��unis, le corps bien droit, ou me hancher dans la position du soldat au repos.
Je dois vous avouer que j'ai v��cu fort retir��, �� la maison Socque et Sureau. Je d��testais les circonstances qui me faisaient sortir de mes fonctions et de mes habitudes. Mon m��tier ��tait de corriger des textes et non de me tenir debout devant un prince de l'industrie. Je maudissais M. Jacob et pr��parais, �� son intention, quelques-unes de ces phrases bien mijot��es, qu'en d��finitive je ne dis jamais. J'��tais d'ailleurs inquiet de mon corps dont je ne savais que faire. Je sentais tous mes muscles qui se guindaient, chacun dans une posture �� faire tort aux autres, et j'avais la curieuse impression de composer une ��norme grimace, non seulement avec ma figure, mais avec mon torse, mon ventre, mes membres, enfin avec toute la b��te.
Heureusement M. Sureau ne me regardait pas. Il tripotait le cahier que je lui avais remis. Il ��prouvait une rage lourde, assez bien contenue.
Tout �� coup, sans lever le nez, il ��crase un index sur la page et dit:
--Mal ��crit.... Illisible.... Qu'est-ce que c'est que ce mot-l��?
Je fais quatre pas d'automate. Je me penche et je lis, sans h��siter, �� haute voix: ?sur��rogatoire?. Cette manoeuvre m'avait plac�� tout pr��s de M. Sureau, �� port��e du bras gauche de son fauteuil.
C'est alors que je remarquai son oreille gauche. Je m'en souviens tr��s exactement et juge encore qu'elle n'avait rien d'extraordinaire. C'��tait l'oreille d'un homme un peu sanguin; une oreille large, avec des poils et des taches lie-de-vin. Je ne sais pourquoi je me mis �� regarder ce coin de peau avec une attention extr��me, qui devint bient?t presque douloureuse. Cela se trouvait tout pr��s de moi, mais rien ne m'avait jamais sembl�� plus lointain et plus ��tranger. Je pensais: ?C'est de la chair humaine. Il y a des gens pour qui toucher cette chair-l�� est chose toute naturelle; il y a des gens pour qui c'est chose famili��re?.
Je vis tout �� coup, comme en r��ve, un petit gar?on,--M. Sureau est p��re de famille--un petit gar?on qui passait un bras autour du cou de M. Sureau. Puis j'aper?us Mlle Dup��re. C'��tait une ancienne dactylographe avec qui M. Sureau avait eu une liaison assez tapageuse. Je l'aper?us pench��e derri��re M. Sureau et l'embrassant l��, pr��cis��ment, derri��re l'oreille. Je pensais toujours: ?Eh bien! c'est de la chair humaine; il y a des gens qui l'embrassent. C'est naturel?. Cette id��e me paraissait, je ne sais pourquoi, invraisemblable et, par moments, odieuse. Diff��rentes images se succ��daient dans mon esprit, quand, soudain, je m'aper?us que j'avais remu�� un peu le bras droit, l'index en avant et, tout de suite, je compris que j'avais envie de poser mon doigt l��, sur l'oreille de M. Sureau.
A ce moment, le gros homme grogna dans le cahier et sa t��te changea de place. J'en fus, �� la fois, furieux et soulag��. Mais il se remit �� lire et je sentis mon bras qui recommen?ait �� bouger doucement.
J'avais d'abord ��t�� scandalis�� par ce besoin de ma main de toucher l'oreille de M. Sureau. Graduellement, je sentis que mon esprit acquies?ait. Pour mille raisons que j'entrevoyais confus��ment, il me devenait n��cessaire de toucher l'oreille de M. Sureau, de me prouver �� moi-m��me que cette oreille n'��tait pas une chose interdite, inexistante, imaginaire, que ce n'��tait que de la chair humaine, comme ma propre oreille. Et, tout �� coup, j'allongeai d��lib��r��ment le bras et posai, avec soin, l'index o�� je voulais, un peu au-dessus du lobule, sur un coin de peau brique.
Monsieur, on a tortur�� Damiens parce qu'il avait donn�� un coup de canif au roi Louis XV. Torturer un homme, c'est une grande infamie que rien ne saurait excuser; n��anmoins, Damiens a fait un petit peu de mal au roi. Pour moi, je vous affirme que je n'ai fait aucun mal �� M. Sureau et que je n'avais pas l'intention de lui faire le moindre mal. Vous me direz qu'on ne m'a pas tortur��, et, dans une certaine mesure, c'est exact.
A peine avais-je effleur��, du bout de l'index, d��licatement, l'oreille de M. Sureau qu'ils firent, lui et son fauteuil, un bond en arri��re. Je devais ��tre un peu bl��me; quant �� lui, il devint bleuatre, comme les apoplectiques quand ils palissent. Puis il se pr��cipita sur un tiroir, l'ouvrit et sortit un revolver.
Je ne bougeais pas. Je ne disais rien. J'avais l'impression d'avoir fait une chose monstrueuse. J'��tais ��puis��, vid��, vague.
M. Sureau posa le revolver sur la table, d'une main qui tremblait si fort que le revolver fit, en touchant le meuble, un bruit de dents qui claquent. Et M. Sureau hurla, hurla.
Je ne sais plus au juste ce qui s'est pass��. J'ai ��t�� saisi par
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