faire la première visite.
--M. Filsac me dit que vous voyez souvent ma chère fille et que vous pouvez me parler d'elle longuement. Comment est-elle, la pauvre petite?
C'était là que madame Prétavoine attendait madame de la Roche-Odon; la première partie de son plan avait réussi, elle était entrée dans la place. A elle maintenant, à son adresse, de s'y établir, à son tact de s'y maintenir.
Puisqu'on l'interrogeait, elle pouvait répondre, et pour cela prendre son temps.
--Il faut, dit-elle, que je vous explique, madame, comment M. Filsac a été amené à me charger de cette lettre et à vous faire parvenir par moi des nouvelles de mademoiselle Bérengère. Touchés, comme tous les catholiques, des malheurs du Saint-Père, nous avons organisé dans le diocèse de Condé une loterie de Saint-Pierre, dont le produit devait être offert à Sa Sainteté. Grace au ciel, nous avons ainsi réuni une assez grosse somme, je dis grosse, relativement à nos ressources,--et comme j'étais la trésorière de l'oeuvre, j'ai été désignée pour la porter à Rome.
Bien que madame Prétavoine n'e?t jamais étudié l'art de la rhétorique, elle venait, en peu de mots, de batir un exorde qui réunissait toutes les qualités requises.
Le but de l'exorde étant de se concilier la bienveillance de la personne à laquelle on s'adresse, madame Prétavoine avait voulu tout d'abord se faire conna?tre. Qui elle était? Une des premières de Condé assurément, puisqu'elle avait été la trésorière d'une oeuvre importante, et que de plus elle avait été choisie entre tous pour venir à Rome, au nom du diocèse entier; catholique fervente, cela va sans dire, et dévouée aux intérêts du Saint-Père, compatissante à ses malheurs. Que demander encore? Tout de suite on voyait à qui on avait affaire et quelle foi on devait accorder à ses paroles.
Elle poursuivit:
--Quand M. Filsac, votre avoué, apprit que le choix de notre comité s'était porté sur moi, il vint me faire une visite et me demanda de vous voir dans ce voyage. M. Filsac est un homme de bien, pour qui nous avons tous une grande estime, je n'avais rien à lui refuser. Mais, d'autre part, j'avais des raisons particulières pour accepter avec empressement la mission qu'il voulait bien me confier. En effet, j'ai le plaisir de conna?tre mademoiselle Bérengère, avec laquelle je d?ne tous les jeudis à la table de son grand-père.
Dire à madame de la Roche-Odon qu'on était re?u dans l'intimité du comte qu'elle détestait, était assez hardi, mais si cette révélation pouvait affaiblir la bienveillance de la vicomtesse, elle devait par contre provoquer son estime; mieux que personne elle savait que tout le monde n'était pas admis à l'honneur de s'asseoir à la table de son beau-père.
--Ayant re?u la visite de M. Filsac, continua madame Prétavoine, j'ai hésité sur la question de savoir si je dirais à mademoiselle votre fille que je vous verrais dans mon voyage à Rome. Mais il m'a semblé que c'était jusqu'à un certain point intervenir dans des querelles de famille qui doivent toujours rester fermées aux étrangers, et avant de partir je n'ai rien dit à mademoiselle Bérengère.
--Ma fille m'écrit.
--Assurément, aussi n'aurais-je rien pu vous rapporter de particulier, tandis que je puis vous parler d'elle et cela sans que ma démarche puisse blesser M. le comte de la Roche-Odon, quand, de retour à Condé, je la lui raconterai.
--M. de la Roche-Odon se blesse facilement.
--Il ne peut pas trouver mauvais qu'une mère ait pensé à apporter des consolations à une mère qui, depuis plusieurs années, est séparée de son enfant. C'est dans ce sens que j'ai accepté la lettre de M. Filsac; c'est uniquement pour vous parler de mademoiselle Bérengère.
Et longuement, abondamment, elle parla de Bérengère.
De sa beauté, de sa grace, de son esprit, de sa bonté, de sa charité, de sa piété.
Ce fut un portrait complet, avec des petites anecdotes caractéristiques habilement choisies et souvent même habilement inventées; en ce sens au moins qu'avec un rien insignifiant elle faisait quelque chose d'important.
Madame de la Roche-Odon écoutait attentivement, mais elle questionnait fort peu, encore le faisait-elle sans se livrer et sans qu'on p?t conclure de ses paroles quels étaient ses sentiments pour sa fille.
Dans son impatience, madame Prétavoine risqua une attaque qui pouvait amener madame de la Roche-Odon à se prononcer.
--M. Filsac voulait encore me charger de paroles que, par déférence pour M. le comte de la Roche-Odon, je n'ai pas cru devoir accepter.
--Ah! dit madame de la Roche-Odon sans montrer la moindre curiosité à l'égard de ces paroles.
--Il voulait, continua madame Prétavoine, que je fisse valoir auprès de vous les raisons qui, selon lui, devraient vous amener à provoquer l'émancipation de mademoiselle Bérengère, qui deviendrait libre ainsi d'habiter près de qui elle voudrait.
--M. Filsac va un peu loin dans son zèle.
--C'est justement la réponse que je lui ai faite pour moi; car enfin, en ce qui me touche, je ne
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