Comte du Pape | Page 5

Hector Malot
de belle apparence.
Ce fut à la porte de cette maison qu'Aurélien déposa sa mère.
Au coup de sonnette discret de madame Prétavoine, un petit domestique italien de treize à quatorze ans vint ouvrir la porte.
--Madame la vicomtesse de la Roche-Odon?
Il parut hésitant, mais il y avait cela de particulier dans son hésitation qu'il se montrait beaucoup plus disposé à rejeter la porte sur le nez de la personne qui se tenait devant lui, qu'à la lui ouvrir.
Mais madame Prétavoine ne lui permit pas d'accomplir son dessein, car se glissant vivement et adroitement par la porte entre-baillée, elle était dans le vestibule avant qu'il se f?t décidé.
Il la regarda un moment interloqué, puis lui tournant le dos, il alla à une porte et il appela avec son accent italien:
--Mademoiselle Emma.
Presque aussit?t arriva une personne de tournure imposante, agée de quarante ans environ, parée, attifée avec prétention, et qui devait être une femme de chambre ma?tresse ou une dame de compagnie.
Madame Prétavoine lui exposa son désir, qui était de voir madame la vicomtesse de la Roche-Odon.
Pendant qu'elle parlait, mademoiselle Emma la toisait des pieds à la tête et la dévisageait.
Cet examen ne fut sans doute pas favorable, car mademoiselle Emma répondit que sa ma?tresse ne pouvait pas recevoir.
Madame Prétavoine reprit ses explications, d'une voix douce, et elle entra dans des détails qui devaient faire comprendre à cette femme de chambre l'importance qu'elle lui reconnaissait.
--Elle venait de Condé-le-Chatel, le pays de M. le comte de la Roche-Odon, beau-père de madame la vicomtesse.
--Il y a longtemps que je suis avec madame; je connais M. de la Roche-Odon, dit la femme de chambre d'un ton qui montrait que le moyen pour se mettre bien avec elle, n'était pas de lui parler ?du beau-père de la vicomtesse.?
--Alors, poursuivit madame Prétavoine sans s'émouvoir, vous devez conna?tre M. Filsac, avoué à Condé, et qui s'est occupé des affaires de madame la vicomtesse; c'est de sa part que je me présente avec une lettre de lui.
Disant cela, elle tira en effet une lettre de sa poche.
--C'est différent, je vais alors prévenir madame; mais en tous cas, elle est occupée en ce moment.
--J'attendrai.
Mademoiselle Emma la fit entrer dans un tout petit salon qui communiquait avec le vestibule; puis elle se retira pour aller prévenir sa ma?tresse, et en s'en allant elle tira la porte de ce vestibule, mais néanmoins sans la fermer complétement.
Madame Prétavoine s'était tout d'abord assise, et elle avait tiré de sa poche un petit livre relié en chagrin noir qui devait être un livre d'heures ou de prières, qu'elle avait ouvert; mais la femme de chambre partie, au lieu de se mettre à lire dans son livre, elle le posa tout ouvert sur une table qui était devant elle, et se levant vivement, en marchant avec précaution sur le tapis, elle commen?a à examiner curieusement les choses qui l'entouraient, meubles, tentures et gravures de la calcographie accrochées aux murs.
Mais ce qui provoqua surtout son attention, ce furent des cartes de visite jetées pêle-mêle dans une coupe de bronze.
Elle les prit et commen?a à les lire, mais les noms qu'elles portaient étant pour la plupart étrangers et par suite assez difficiles à retenir; elle tira un carnet de sa poche et se mit à les copier rapidement.
Pour ce qu'elle se proposait, il pouvait lui être utile de savoir avec qui madame de la Roche-Odon était en relations, et puisqu'une sotte habitude permet qu'on fasse ostentation des cartes qu'on re?oit, elle e?t été bien simple de ne pas profiter de cette bonne occasion.
Un coup de sonnette vint l'interrompre dans son travail; rapidement elle abandonna les cartes et reprit son livre, de peur d'être surprise par un nouvel arrivant.
En reculant d'un pas, il se trouva que par la porte entre-baillée elle pouvait voir dans le vestibule.
Son livre à sa main, elle glissa ses yeux jusque-là.
Le petit domestique qui l'avait re?ue venait d'ouvrir la porte, mais en reconnaissant celui qui se présentait, il lui avait fait signe qu'on ne pouvait entrer, en l'arrêtant d'une main et en mettant l'autre sur ses lèvres.
Ce nouvel arrivant était un jeune homme vêtu avec élégance, portant au cou une cravate voyante et aux mains des pierreries qui jetaient des feux; son visage était rasé comme celui d'un prêtre ou d'un comédien, ses cheveux noirs étaient frisés.
Comme le dialogue qui s'était engagé entre lui et le petit groom, avait lieu à voix basse et en italien, madame Prétavoine n'entendait pas les paroles qu'ils échangeaient rapidement, et deux mots seulement arrivaient jusqu'à elle: ?mylord et Ardea.?
Mais lorsque deux Italiens s'expliquent, il n'est pas indispensable bien souvent d'entendre ce qu'ils disent, pour les comprendre il n'y a qu'à les regarder, tant leur mimique est expressive.
Et madame Prétavoine ne perdait pas un de leurs mouvements.
--Ma ma?tresse est avec ?mylord,? disait le groom, vous ne pouvez pas entrer.
Là-dessus la physionomie du
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 127
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.