della Rebbia, dit-il, car vous le connaissez sans doute?
-- Monsieur est le fils du colonel della Rebbia? demanda le préfet d'un air légèrement
embarrassé.
-- Oui, monsieur, répondit Orso.
-- J'ai eu l'honneur de connaître monsieur votre père.»
Les lieux communs de conversation s'épuisèrent bientôt. Malgré lui, le colonel bâillait
assez fréquemment; en sa qualité de libéral, Orso ne voulait point parler à un satellite du
pouvoir; miss Lydia soutenait seule la conversation. De son côté, le préfet ne la laissait
pas languir, et il était évident qu'il avait un vif plaisir à parler de Paris et du monde à une
femme qui connaissait toutes les notabilités de la société européenne. De temps en temps,
et tout en parlant, il observait Orso avec une curiosité singulière.
«C'est sur le continent que vous avez connu monsieur della Rebbia?» demanda-t-il à miss
Lydia.
Miss Lydia répondit avec quelque embarras qu'elle avait fait sa connaissance sur le navire
qui les avait amenés en Corse.
«C'est un jeune homme très comme il faut, dit le préfet à mi-voix. Et vous a-t-il dit,
continua-t-il encore plus bas, dans quelle intention il revient en Corse?»
Miss Lydia prit son air majestueux:
«Je ne le lui ai point demandé, dit-elle; vous pouvez l'interroger.»
Le préfet garda le silence; mais, un moment après, entendant Orso adresser au colonel
quelques mots en anglais:
«Vous avez beaucoup voyagé, monsieur, dit-il, à ce qu'il paraît. Vous devez avoir oublié
la Corse... et ses coutumes.
-- Il est vrai, j'étais bien jeune quand je l'ai quittée.
-- Vous appartenez toujours à l'armée?
-- Je suis en demi-solde, monsieur.
-- Vous avez été trop longtemps dans l'armée française, pour ne pas devenir tout à fait
Français, je n'en doute pas, monsieur.»
Il prononça ces derniers mots avec une emphase marquée.
Ce n'est pas flatter prodigieusement les Corses, que leur rappeler qu'ils appartiennent à la
grande nation. Ils veulent être un peuple à part, et cette prétention, ils la justifient assez
bien pour qu'on la leur accorde. Orso, un peu piqué, répliqua: «Pensez- vous, monsieur le
préfet, qu'un Corse, pour être homme d'honneur, ait besoin de servir dans l'armée
française?
-- Non, certes, dit le préfet, ce n'est nullement ma pensée: je parle seulement de certaines
coutumes de ce pays-ci, dont quelques-unes ne sont pas telles qu'un administrateur
voudrait les voir.»
Il appuya sur ce mot coutumes, et prit l'expression la plus grave que sa figure comportait.
Bientôt après, il se leva et sortit, emportant la promesse que miss Lydia irait voir sa
femme à la préfecture.
Quand il fut parti: «Il fallait, dit miss Lydia, que j'allasse en Corse pour apprendre ce que
c'est qu'un préfet. Celui-ci me paraît assez aimable.
-- Pour moi, dit Orso, je n'en saurais dire autant, et je le trouve bien singulier avec son air
emphatique et mystérieux.»
Le colonel était plus qu'assoupi; miss Lydia jeta un coup d'oeil de son côté, et baissant la
voix: «Et moi, je trouve, dit-elle, qu'il n'est pas si mystérieux que vous le prétendez, car je
crois l'avoir compris.
-- Vous êtes, assurément, bien perspicace, miss Nevil; et, si vous voyez quelque esprit
dans ce qu'il vient de dire, il faut assurément que vous l'y ayez mis.
-- C'est une phrase du marquis de Mascarille, monsieur della Rebbia, je crois; mais...,
voulez-vous que je vous donne une preuve de ma pénétration? Je suis un peu sorcière, et
je sais ce que pensent les gens que j'ai vus deux fois.
-- Mon Dieu, vous m'effrayez. Si vous saviez lire dans ma pensée, je ne sais si je devrais
en être content ou affligé...
-- Monsieur della Rebbia, continua miss Lydia en rougissant, nous ne nous connaissons
que depuis quelques jours; mais en mer, et dans les pays barbares, -- vous m'excuserez, je
l'espère, ... -- dans les pays barbares, on devient ami plus vite que dans le monde... Ainsi
ne vous étonnez pas si je vous parle en amie de choses un peu bien intimes, et dont
peut-être un étranger ne devrait pas se mêler.
-- Oh! ne dites pas ce mot-là, Miss Nevil; l'autre me plaisait bien mieux.
-- Eh bien, monsieur, je dois vous dire que, sans avoir cherché à savoir vos secrets, je me
trouve les avoir appris en partie, et il y en a qui m'affligent. Je sais, monsieur, le malheur
qui a frappé votre famille; on m'a beaucoup parlé du caractère vindicatif de vos
compatriotes et de leur manière de se venger... N'est-ce pas à cela que le préfet faisait
allusion?
-- Miss Lydia peut-elle penser!...»
Et Orso devint pâle comme la mort.
«Non, monsieur della Rebbia, dit-elle en l'interrompant; je sais que vous êtes un
gentleman plein d'honneur. Vous m'avez dit vous- même qu'il n'y avait plus dans votre
pays que les gens du peuple qui connussent la
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.