Claire de Lune | Page 2

Guy de Maupassant
yeux. Quelquefois elle s'��lan?ait pour attraper une b��te volante, et s'��criait en la rapportant: ?Regarde, mon oncle, comme elle est jolie; j'ai envie de l'embrasser.? Et ce besoin ?d'embrasser des mouches? ou des grains de lilas inqui��tait, irritait, soulevait le pr��tre, qui retrouvait encore l�� cette ind��racinable tendresse qui germe toujours au coeur des femmes.
Puis, voil�� qu'un jour l'��pouse du sacristain, qui faisait le m��nage de l'abb�� Marignan, lui apprit avec pr��caution que sa ni��ce avait un amoureux.
Il en ressentit une ��motion effroyable, et il demeura suffoqu��, avec du savon plein la figure, car il ��tait en train de se raser.
Quand il se retrouva en ��tat de r��fl��chir et de parler, il s'��cria: ?Ce n'est pas vrai, vous mentez, M��lanie!?
Mais la paysanne posa la main sur son coeur: ?Que notre Seigneur me juge si je mens, monsieur le cur��. J'vous dis qu'elle y va tous les soirs sit?t qu' votre soeur est couch��e. Ils se r'trouvent le long de la rivi��re. Vous n'avez qu'�� y aller voir entre dix heures et minuit.?
Il cessa de se gratter le menton, et il se mit �� marcher violemment, comme il faisait toujours en ses heures de grave m��ditation. Quand il voulut recommencer �� se barbifier, il se coupa trois fois depuis le nez jusqu'�� l'oreille.
Tout le jour, il demeura muet, gonfl�� d'indignation et de col��re. A sa fureur de pr��tre, devant l'invincible amour, s'ajoutait une exasp��ration de p��re moral, de tuteur, de charg�� d'ame, tromp��, vol��, jou�� par une enfant; cette suffocation ��go?ste des parents �� qui leur fille annonce qu'elle a fait, sans eux et malgr�� eux, choix d'un ��poux.
Apr��s son d?ner, il essaya de lire un peu, mais il ne put y parvenir; et il s'exasp��rait de plus en plus. Quand dix heures sonn��rent, il prit sa canne, un formidable baton de ch��ne dont il se servait toujours en ses courses nocturnes, quand il allait voir quelque malade. Et il regarda en souriant l'��norme gourdin qu'il faisait tourner, dans sa poigne solide de campagnard, en des moulinets mena?ants. Puis, soudain, il le leva et, grin?ant des dents, l'abattit sur une chaise dont le dossier fendu tomba sur le plancher.
Et il ouvrit sa porte pour sortir; mais il s'arr��ta sur le seuil, surpris par une splendeur de clair de lune telle qu'on n'en voyait presque jamais.
Et comme il ��tait dou�� d'un esprit exalt��, un de ces esprits que devaient avoir les P��res de l'��glise, ces po��tes r��veurs, il se sentit soudain distrait, ��mu par la grandiose et sereine beaut�� de la nuit pale.
Dans son petit, jardin, tout baign�� de douce lumi��re, ses arbres fruitiers, rang��s en ligne, dessinaient en ombre sur l'all��e leurs gr��les membres de bois �� peine v��tus de verdure; tandis que le ch��vrefeuille g��ant, grimp�� sur le mur de sa maison, exhalait des souffles d��licieux et comme sucr��s, faisait flotter dans le soir ti��de et clair une esp��ce d'ame parfum��e.
Il se mit �� respirer longuement, buvant de l'air comme les ivrognes boivent du vin, et il allait �� pas lents, ravi, ��merveille, oubliant presque sa ni��ce.
D��s qu'il fut dans la campagne, il s'arr��ta pour contempler toute la plaine inond��e de cette lueur caressante, noy��e dans ce charme tendre et languissant des nuits sereines. Les crapauds �� tout instant jetaient par l'espace leur note courte et m��tallique, et des rossignols lointains m��laient leur musique ��gren��e qui fait r��ver sans faire penser, leur musique l��g��re et vibrante, faite pour les baisers, �� la s��duction du clair de lune.
L'abb�� se remit �� marcher, le coeur d��faillant, sans qu'il s?t pourquoi. Il se sentait comme affaibli, ��puis�� tout �� coup; il avait une envie de s'asseoir, de rester l��, de contempler, d'admirer Dieu dans son oeuvre.
L��-bas, suivant les ondulations de la petite rivi��re, une grande ligne de peupliers serpentait. Une bu��e fine, une vapeur blanche que les rayons de lune traversaient, argentaient, rendaient luisante, restait suspendue autour et au-dessus des berges, enveloppait tout le cours tortueux de l'eau d'une sorte de ouate l��g��re et transparente.
Le pr��tre encore une fois s'arr��ta, p��n��tr�� jusqu'au fond de l'ame par un attendrissement grandissant, irr��sistible.
Et un doute, une inqui��tude vague l'envahissait; il sentait na?tre en lui une de ces interrogations qu'il se posait parfois. Pourquoi Dieu avait-il fait cela? Puisque la nuit est destin��e au sommeil, �� l'inconscience, au repos, �� l'oubli de tout, pourquoi la rendre plus charmante que le jour, plus douce que les aurores et que les soirs, et pourquoi cet astre lent et s��duisant, plus po��tique que le soleil et qui semble destin��, tant il est discret, �� ��clairer des choses trop d��licates et myst��rieuses pour la grande lumi��re, s'en venait-il faire si transparentes les t��n��bres?
Pourquoi le plus habile des oiseaux chanteurs ne se reposait-il pas comme les autres et se mettait-il �� vocaliser dans l'ombre troublante?
Pourquoi ce demi-voile jet�� sur le monde? Pourquoi
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