un esprit vif, une
intelligence de chercheur, une propension remarquable vers les travaux scientifiques; il
montrait, en outre, une adresse peu commune à se tirer d'affaire; il ne fut jamais
embarrassé de rien, pas même de se servir de sa première fourchette, à quoi les enfants
réussissent si peu en général.
Bientôt son imagination s'enflamma à la lecture des entreprises hardies, des explorations
maritimes; il suivit avec passion les découvertes qui signalèrent la première partie du
XlXe siècle; il rêva la gloire des Mungo-Park, des Bruce, des Caillié, des Levaillant, et
même un peu, je crois, celle de Selkirk, le Robinson Crusoé, qui ne lui paraissait pas
inférieure. Que d'heures bien occupées il passa avec lui dans son île de Juan Fernandez! Il
approuva souvent les idées du matelot abandonné; parfois il discuta ses plans et ses
projets; il eût fait autrement, mieux peut-être, tout aussi bien, à coup sûr! Mais, chose
certaine, il n'eût jamais fui cette bienheureuse île, où il était heureux comme un roi sans
sujets....; non, quand il se fût agi de devenir premier lord de l'amirauté!
Je vous laisse à penser si ces tendances se développèrent pendant sa jeunesse aventureuse
jetée aux quatre coins du monde. Son père, en homme instruit, ne manquait pas d'ailleurs
de consolider cette vive intelligence par des études sérieuses en hydrographie, en
physique et en mécanique, avec une légère teinture de botanique, de médecine et
d'astronomie.
A la mort du digne capitaine, Samuel Fergusson, âgé de vingt-deux ans, avait déjà fait
son tour du monde; il s'enrôla dans le corps des ingénieurs bengalais, et se distingua en
plusieurs affaires; mais cette existence de soldat ne lui convenait pas; se souciant peu de
commander, il n'aimait pas à obéir. Il donna sa démission, et, moitié chassant, moitié
herborisant, il remonta vers le nord de la péninsule indienne et la traversa de Calcutta à
Surate. Une simple promenade d'amateur.
De Surate, nous le voyons passer en Australie, et prendre part en 1845 à l'expédition du
capitaine Sturt, chargé de découvrir cette mer Caspienne que l'on suppose exister au
centre de la Nouvelle-Hollande.
Samuel Fergusson revint en Angleterre vers 1830, et, plus que jamais possédé du démon
des découvertes, il accompagna jusqu’en 1853 le capitaine Mac Clure dans l'expédition
qui contourna le continent américain du détroit de Behring au cap Farewel.
En dépit des fatigues de tous genres, et sous tous les climats, la constitution de Fergusson
résistait merveilleusement; il vivait à son aise au milieu des plus complètes privations;
c'était le type du parfait voyageur, dont l'estomac se resserre ou se dilate à volonté, dont
les jambes s'allongent ou se raccourcissent suivant la couche improvisée, qui s'endort à
toute heure du jour et se réveille à toute heure de la nuit.
Rien de moins étonnant, dès lors, que de retrouver notre infatigable voyageur visitant de
1855 à 1857 tout l'ouest du Tibet en compagnie des frères Schlagintweit, et rapportant de
cette exploration de curieuses observations d'ethnographie.
Pendant ces divers voyages, Samuel Fergusson fut le correspondant le plus actif et le plus
intéressant du Daily Telegraph, ce journal à un penny, dont le tirage monte jusqu'à cent
quarante mille exemplaires par jour, et suffit à peine à plusieurs millions de lecteurs.
Aussi le connaissait-on bien, ce docteur, quoiqu'il ne fût membre d'aucune institution
savante, ni des Sociétés royales géographiques de Londres, de Paris, de Berlin, de Vienne
ou de Saint-Pétersbourg, ni du Club des Voyageurs, ni même de Royal Polytechnic
Institution, où trônait son ami le statisticien Kokburn.
Ce savant lui proposa même un jour de résoudre le problème suivant, dans le but de lui
être agréable: Étant donné le nombre de milles parcourus par le docteur autour du monde,
combien sa tête en a-t-elle fait de plus que ses pieds, par suite de la différence des rayons?
Ou bien, étant connu ce nombre de milles parcourus par les pieds et par la tête du docteur,
calculer sa taille exacte à une ligne près?
Mais Fergusson se tenait toujours éloigné des corps savants, étant de l'église militante et
non bavardante; il trouvait le temps mieux employé à chercher qu'à discuter, à découvrir
qu'à discourir.
On raconte qu'un Anglais vint un jour à Genève avec l'intention de visiter le lac; on le fit
monter dans l'une de ces vieilles voitures où l'on s'asseyait de côté comme dans les
omnibus: or il advint que, par hasard, notre Anglais fut placé de manière à présenter le
dos au lac; la voiture accomplit paisiblement son voyage circulaire, sans qu'il songeât à se
retourner une seule fois, et il revint à Londres, enchanté du lac de Genève.
Le docteur Fergusson s'était retourné, lui, et plus d'une fois pendant ses voyages, et si
bien retourné qu'il avait beaucoup vu. En cela, d'ailleurs, il obéissait à sa nature, et nous
avons
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