Cinq Semaines En Ballon | Page 7

Jules Verne
la recherche des sources du Nil. D'ailleurs il admirait sans réserve cet esprit énergique du docteur Fergusson, et ce c?ur couvert d'un triple airain qui concevait et tentait un pareil voyage.
Le ? North American Review ? ne vit pas sans déplaisir une telle gloire réservée à l'Angleterre; il tourna la proposition du docteur en plaisanterie, et l'engagea à pousser jusqu'en Amérique, pendant qu'il serait en si bon chemin.
Bref, sans compter les journaux du monde entier, il n'y eut pas de recueil scientifique, depuis le ·? Journal des Missions évangéliques ? jusqu'à la ? Revue algérienne et coloniale, ? depuis les ? Annales de la propagation de la foi ? jusqu'au ? Church missionnary intelligencer, ? qui ne relatat le fait sous toutes ses formes.
Des paris considérables s'établirent à Londres et dans l'Angleterre, 1° sur l'existence réelle ou supposée du docteur Fergusson; 2° sur le voyage lui-même, qui ne serait pas tenté suivant les uns, qui serait entrepris suivant les autres; 3° sur la question de savoir s'il réussirait ou s'il ne réussirait pas; 4° sur les probabilités ou les improbabilités du retour du docteur Fergusson On engagea des sommes énormes au livre des paris, comme s'il se f?t agi des courses d'Epsom.
Ainsi donc, croyants, incrédules, ignorants et savants, tous eurent les yeux fixés sur le docteur; il devint le lion du jour sans se douter qu'il portat une crinière. Il donna volontiers des renseignements précis sur son expédition. Il fut aisément abordable et l'homme le plus naturel du monde. Plus d'un aventurier hardi se présenta, qui voulait partager la gloire et les dangers de sa tentative; mais il refusa sans donner de raisons de son refus.
De nombreux inventeurs de mécanismes applicables à la direction des ballons vinrent lui proposer leur système. Il n'en voulut accepter aucun. A qui lui demanda s'il avait découvert quelque chose à cet égard, il refusa constamment de s'expliquer, et s'occupa plus activement que jamais des préparatifs de son voyage.

CHAPITRE III
L'ami du docteur.--D'où datait leur amitié.--Dick Kennedy à Londres.--Proposition inattendue, mais point rassurante.--Proverbe peu consolant.--Quelques mots du martyrologe africain--Avantages d'un aérostat.--Le secret du docteur Fergusson.

Le docteur Fergusson avait un ami. Non pas un autre lui-même, un alter ego; l'amitié ne saurait exister entre deux êtres parfaitement identiques.
Mais s'ils possédaient des qualités, des aptitudes, un tempérament distincts, Dick Kennedy et Samuel Fergusson vivaient d'un seul et même c?ur, et cela ne les gênait pas trop. Au contraire.
Ce Dick Kennedy était un écossais dans toute l'acception du mot, ouvert, résolu, entêté. Il habitait la petite ville de Leith, près d'édimbourg, une véritable banlieue de la ? Vieille Enfumée ? [Sobriquet d'édimbourg, Auld Reekie,]. C'était quelquefois un pêcheur, mais partout et toujours un chasseur déterminé: rien de moins étonnant de la part d'un enfant de la Calédonie, quelque peu coureur des montagnes des Highlands On le citait comme un merveilleux tireur à la carabine; non seulement il tranchait des balles sur une lame de couteau, mais il les coupait en deux moitiés si égales, qu'en les pesant ensuite on ne pouvait y trouver de différence appréciable.
La physionomie de Kennedy rappelait beaucoup celle de Halbert Glendinning, telle que l'a peinte Walter Scott dans ? le Monastére ?; sa taille dépassait six pieds anglais [Environ cinq pieds huit pouces.]; plein de grace et d'aisance, il paraissait doué d'une force herculéenne; une figure fortement halée par le soleil, des yeux vifs et noirs, une hardiesse naturelle très décidée, enfin quelque chose de bon et de solide dans toute sa personne prévenait en faveur de l'écossais.
La connaissance des deux amis se fit dans l'Inde, à l'époque où tous deux appartenaient au même régiment; pendant que Dick chassait au tigre et à l'éléphant, Samuel chassait à la plante et à l'insecte; chacun pouvait se dire adroit dans sa partie, et plus d'une plante rare devint la proie du docteur, qui valut à conquérir autant qu'une paire de défenses en ivoire.
Ces deux jeunes gens n'eurent jamais l'occasion de se sauver la vie, ni de se rendre un service quelconque. De là une amitié inaltérable. La destinée les éloigna parfois, mais la sympathie les réunit toujours.
Depuis leur rentrée en Angleterre, ils furent souvent séparés par les lointaines expéditions du docteur; mais, de retour, celui-ci ne manqua, jamais d'aller, non pas demander, mais donner quelques semaines de lui-même à son ami l'écossais.
Dick causait du passé, Samuel préparait l'avenir: l'un regardait en avant, l’autre en arrière. De là un esprit inquiet, celui de Fergusson, une placidité parfaite, celle de Kennedy.
Après son voyage au Tibet, le docteur resta près de deux ans sans parler d'explorations nouvelles; Dick supposa que ses instincts de voyage, ses appétits d'aventures se calmaient Il en fut ravi Cela, pensait-il, devait finir mal un jour ou l'autre; quelque habitude que l'on ait des hommes, on ne voyage pas impunément au milieu des anthropophages et des
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