Chevalier de Mornac | Page 5

Joseph Marmette
chemise, que le peu de longueur du pourpoint laissait librement voir au-dessus du haut-de-chausses, car la mode du temps le voulait ainsi.
Enfin de lourdes bottes de voyage �� ��perons d'argent, et dont l'entonnoir affaiss�� s'��vasait au-dessus du genou, chaussaient ses pieds, petits comme ceux de tout homme de bonne race.
Malgr�� l'��tat assez d��labr�� de son costume, notre gentilhomme avait bonne et fi��re mine.
Il ��tait grand, brun, et sa figure longue mais fine accusait vingt-huit ans. Domin��e par un nez fortement aquilin, sa l��vre sup��rieure disparaissait sous une moustache noire, dont les bouts, soigneusement fris��s, serpentaient coquettement aux coins de sa bouche ferme et moqueuse, tandis qu'une royale se tordait en spirale sur un menton avanc��, dont la forme annon?ait un joyeux app��tit. La mode de porter la barbe commen?ait �� se passer �� la cour du jeune roi, et pourtant les gens de guerre conservaient encore ces belles moustaches du temps de Richelieu, qui donnaient un air si crane et que les femmes aimaient tant.
--Cap-de-diou! s'��cria-t-il soudain, (car c'��tait un brave enfant de la Gascogne que le sieur Robert du Portail, chevalier de Mornac)--le beau cap!
Et son oeil noir et intelligent montait et se promenait sur le Cap-aux-Diamants.
--Mais sangdiou! la pauvre petite ville que cette capitale o�� nous venons faire la cour �� dame Fortune!
Il disait cela avec ce diable d'accent gascon, unique en son genre, et que nous nous garderons bien de vouloir imiter en ce r��cit.
Puis, abaissant son regard jusqu'�� l'eau.
--Oh! mais, capitaine, dites donc, quel est ce gros homme coiff�� d'un bonnet rouge, et qui emplit �� lui seul l'arri��re de la chaloupe que l'on voit s'approcher?
--Ce doit ��tre notre joyeux h?telier, comp��re Jacques Boisdon, r��pondit le capitaine en se penchant sur le bastingage pour mieux examiner ceux qui montaient l'embarcation signal��e.
--Celui qui tient l'unique h?tellerie de Qu��bec?
--Pr��cis��ment, et, comme je vous l'ai d��j�� dit, c'est chez lui qu'il vous faudra descendre.
La chaloupe du p��re J��r?me Thibault arrivait en longeant le navire et la face ��panouie de Jacques Boisdon apparaissait souriante au-dessus du ventre rebondi qui, �� chaque oscillation du canot, ballottait lourdement sur les genoux de l'aubergiste.
--Mordiou! la bonne trogne ricana le Gascon. Si j'avais sur le chaton de ma bague autant de rubis que ce gaillard en a sur le nez, je pourrais rebatir le chateau de Mornac, ce pauvre manoir de mes a?eux dans les ruines duquel nichent en paix les hirondelles. Oh! cad��dis! la belle outre �� gonfler de vin que cette large panse!
En ce moment, plusieurs interpellations, parties de tous les points du vaisseau, indiqu��rent au Gascon �� quel point l'aubergiste ��tait populaire parmi les marins.
--H��! bonjour, p��re Boisdon. Comment ?a va-t-il, vieux cachalot? Et dame P��tue se porte comme un charme? Buvons-nous toujours sec, grosse ��ponge!
Puis une voix gr��le qui descendait du bout de la grande vergue:
--P��re Boisdon, mes amours! avons-nous encore de ce bon vieux guildive du petit tonneau rouge. H��! dites donc, vieux loup de terre?
Boisdon, ahuri par tant de questions, levant en l'air sa figure apoplectique et criait de sa voix grasse:
--Bien, mes enfants, merci! Oui, oui, nous avons encore de fines liqueurs, allez!
--Trois bravos pour Boisdon! dit le capitaine, qui, depuis son dernier voyage, devait deux ��cus �� l'aubergiste.
Et de quarante gosiers marins sortirent trois vocif��rations, qui caus��rent tant d'��motions �� l'h?telier que sa figure s'empourpra comme s'il allait ��tre frapp�� d'un coup de sang.
--Chers bons enfants! murmurait-il, tandis qu'une larme furtive glissait de ses yeux pour se dess��cher aussit?t sur sa joue en feu. Allons-nous nous arroser un peu le dalot du cou pendant une quinzaine! Sapreminette!
Dans ses grands moments de joie, le paisible aubergiste se permettait cet inoffensif juron.
On venait cependant de glisser jusqu'�� fleur d'eau une ��chelle volante, et les passagers se pr��paraient �� descendre dans les chaloupes, lorsque Boisdon cria d'en bas:
--Si quelqu'un de ces messieurs d��sire loger l'auberge du Baril-d'Or, qu'il veuille embarquer avec moi.
Mornac fut un des premiers qui se rendit cette invitation. Un matelot transporta dans la chaloupe du p��re Thibault une petite valise qui contenait tout le bagage et la fortune du Gascon.
En voyant le mince porte-manteau de son h?te, l'aubergiste fit la grimace. Pourtant, lorsque le chevalier mit le pied dans la chaloupe, Boisdon le salua respectueusement et lui dit qu'il ��tait flatt�� d'avoir l'honneur d'h��berger un gentilhomme.
--Qui sait, apr��s tout, s'��tait dit l'h?telier, cette valise peut ��tre remplie d'argent, et notre h?te payer lib��ralement.
Quelques personnes prirent place �� c?t�� du chevalier, les autres dans les deux chaloupes du vaisseau, et ces embarcations se dirig��rent, force de rames, vers l'endroit de la basse-ville o�� s'��levait encore le magasin construit par Champlain.
Sur le rivage plusieurs gens attendaient les arrivants. Car c'��taient des compatriotes, des amis, des parents peut-��tre, qu'ils allaient recevoir. Et n'aurait-on pas aussi de r��centes nouvelles de France, du bon pays des a?eux dont on conservait si
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