Chevalier de Mornac | Page 3

Joseph Marmette
ces restes de brouillard, qui disparurent en un instant, comme les tra?nards de l'arri��re-garde d'une arm��e vaincue, sous la derni��re vol��e de mitraille des vainqueurs.
Le trois-mats apparut alors en entier, sa voilure coquettement inclin��e �� babord, tandis qu'un bouillonnement de blanche ��cume dansait ga?ment au-devant de la proue du vaisseau; car la brise fra?chissait du large.
Or, en ce moment, ma?tre Jacques Boisdon, l'unique h?telier de Qu��bec, ouvrait les contrevents de son h?tellerie, sise sur la rue Notre-Dame et pr��s de la grande place, �� la haute-ville. [2] Le bonnet de laine rouge de l'h?telier ��tait gaillardement rabattu sur sa bonne grosse figure enlumin��e, les aiguillettes de son haut-de-chausses lui retombaient jusqu'au genou en d��crivant un quart de cercle sur la respectable rotondit�� de son ventre, tandis que le vent du matin se jouait dans le collet d��boutonn�� de sa chemise de toile commune de Bretagne, et caressait de sa fra?che haleine les chairs grasses du cou trapu de l'aubergiste.
[Note 2: La rue Notre-Dame prit plus tard le nom de M. de Buade, comte de Frontenac, lorsque ce gentilhomme devint gouverneur du Canada.]
Ceux qui ont lu Fran?ois de Bienville, se rappelleront sans doute que l'illustre Jean Boisdon ��tait le fils du premier h?telier de Qu��bec, Jacques Boisdon que nous mettons en sc��ne aujourd'hui.[3]
[Note 3: Parmi les actes officiels qui nous restent du Conseil ��tabli �� Qu��bec par M. d'Ailleboust et d'apr��s un r��glement royal donn�� le cinq mars 1648, on en trouve un en date du 19 septembre de la m��me ann��e par lequel Jacques Boisdon est ��tabli h?telier �� l'exclusion de tout autre. ?Il se logera,? y est-il dit, ?sur la grande place, pr��s de l'��glise, afin que tous puissent aller se chauffer chez lui... Il ne gardera personne pendant la grand'messe, le sermon, le cat��chisme et les v��pres.? Cet acte est sign�� par M. d'Ailleboust, gouverneur, le P��re J. Lalemant, et les sieurs de Chavigny, Godefroy et Giffard.]
Bien qu'ambitieux, Jacques, premier du nom en Canada, n'avait pas cette soif de gain qui fut si fatale son sacripant de fils. C'��tait un brave homme que le gros p��re Boisdon, aimant �� rire �� ses heures et �� lever le coude en tout temps. Sous ce dernier rapport, ma?tre Jean, son fils, lui devait ressembler.
Boisdon p��re aimait bien un peu l'argent, non par vile estime du m��tal, mais bien plut?t pour les jouissances mat��rielles qu'il procure. S'il faisait un peu la cour �� sa client��le, c'est qu'il songeait, en lui versant bonne et fr��quente mesure, que le menu de ses trois abondants repas quotidiens s'en augmentait d'autant, et que la bonne ch��re adoucissait singuli��rement aussi l'humeur tant soit peu rev��che de Perp��tue, sa digne ��pouse.
Comme il achevait d'ouvrir son dernier volet, il entendit le bruit r��jouissant des casseroles que sa vaillante moiti�� agitait �� l'int��rieur. La seule id��e de la belle omelette au jambon de Bayonne, qui l'attendrait bient?t, toute fumante et dor��e, sur la table du d��jeuner, le fit sourire, et se sentant les jambes engourdies par le sommeil, il enfon?a ses deux mains dans les poches profondes de son haut-de-chausses, et fit quelques pas dans la rue pour se d��gourdir et se remettre en app��tit.
Il allait ainsi, longeant la grande ��glise et se dandinant avec b��atitude, vers la demeure de Mgr. de Laval, [4] lorsqu'un cri de joyeuse surprise lui ��chappa.
[Note 4: En 1664, Mgr. de Laval demeurait dans une maison batie �� l'endroit o�� s'��l��ve aujourd'hui celle de la Fabrique de la cath��drale, �� c?t�� du presbyt��re de la haute-ville. On voit cependant, sur un plan de Qu��bec, fait en 1660 et intitul�� ?Vray plan du haut et bas de Qu��bec. Comme il est en l'an 1660,? on voit, dis-je, que Mgr. de Laval avait d'abord occup�� la maison de Mme de la Pelleterie, pr��s du couvent des Ursulines.]
Ses regards venaient de tomber sur la rade, qui alors ��tait parfaitement visible de la haute ville; car cet amas de maisons qui s'��l��vent maintenant en face du nouveau bureau de poste, ne masquait pas la vue en ces temps recul��s, tandis qu'�� l'endroit quelque vingt-cinq ans plus tard, devait s'��lever le premier ��v��ch��, il n'y avait qu'une seule maison appartenant au procureur-g��n��ral, M. Ruette d'Auteuil. [5]
[Note 5: C'est sur ce terrain que sont aujourd'hui construits les batiments de notre Parlement provincial.]
Apr��s un instant de contemplation, il tourna brusquement sur lui-m��me et se prit �� courir ou plut?t �� rouler vers son logis. Il arrive chez lui tout essouffl��, et cria en ouvrant la porte de l'h?tellerie.
--Perp��tue! Perp��tue!
--Allons qu'est-ce qu'il y a? fit dame Boisdon, qui cassait en ce moment un oeuf frais, dont le jaune en se r��pandant dans la po��le, autour de tranches roses de jambon saupoudr��es de brindilles de persil, semblait un petit lac dont les flots d'or baigneraient des flots de corail et d'��meraude.
Boisdon sentit que
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