gouverneur, qui avait ordonné de le faire entrer immédiatement en apprenant que le gentilhomme était porteur de dépêches de la cour.
Après l'avoir salué cordialement et avoir re?u des mains du chevalier le pli scellé des armes royales, M. de Mésy pria son h?te de s'asseoir.
D'une main dont il s'effor?ait en vain de dissimuler l'agitation, M. de Mésy rompit le cachet du message de Colbert, et se mit à parcourir la lettre d'un regard fiévreux.
Mornac le regardait. Soudain il le vit palir, tandis que ses doigts crispés froissaient la dépêche.
Colbert, au nom du roi, reprochait vertement à M de Mésy ses violences envers l'évêque et le conseil, et lui annon?ait que M. le marquis de Tracy, MM. de Courcelles et Talon étaient chargés de faire son procès dès leur arrivée à Québec.
Une larme d'indignation glissa sur la joue ridée du vieux soldat. Un éclair enflamma ses yeux. Il fut près d'éclater. Mais, il se ma?trisa presque aussit?t en se rappelant qu'il n'était pas seul. Puis, après avoir avalé un sanglot prêt à lui échapper, il poursuivit la lecture de la dépêche. On lui annon?ait le prochain départ du régiment de Carignan pour le Canada, tout en lui enjoignant de ne faire aucune concession aux Iroquois, vu que les secours de troupes qu'on allait envoyer à la Nouvelle-France, mettraient bient?t les colons en état de dompter la fierté des Cinq Cantons.
Enfin Colbert recommandait le chevalier de Mornac à M. Mésy.
Celui-ci, qui avait eu le temps de se remettre un peu, dit au gentilhomme:
--Soyez certain monsieur le chevalier, que je ferai tout en mon pouvoir, pour vous être utile. Malheureusement, je ne vois guère la possibilité de vous obliger immédiatement. Revenez dans peu de jours et nous verrons à vous donner quelque chose à faire soit pour le service du roi, soit dans la traite des pelleteries pour votre propre compte.
Mornac s'inclina et remercia le gouverneur.
--Maintenant, reprit ce dernier, il me faut donner audition à une députation d'iroquois, dont je n'augure rien de bien satisfaisant. Souhaiteriez-vous d'assister à cette assemblée, Monsieur de Mornac?
--Je vous serais infiniment obligé de m'y autoriser.
--Veuillez alors venir avec moi.
Le gouverneur, suivi de Mornac, se dirigea vers la grande salle du chateau. La plupart des notables de Québec s'y trouvaient déjà réunis lorsque MM. de Mésy et Mornac y entrèrent.
C'était d'abord le supérieur des jésuites (l'évêque avait refusé de s'y rendre), les conseillers, l'épée au c?té, comme leur charge leur en donnait le droit, puis le procureur-général Denis-Joseph Ruette, sieur d'Auteuil, MM. Le Vieux de Hauteville, lieutenant général de la maréchaussée, Louis Péronne de Mazé, capitaine de la garnison du fort de Québec, le conseiller, Aubert de la Chenaye, commis général, Charles Le Gardeur de Tilly, J.-Bte, Le Gardeur de Repentigny, Claude Petiot des Corbières, chirurgien, Blaise de Tracolla, médecin, et bien d'autres dont les noms m'échappent. [10]
[Note 10: Pour constater la précision de ces détails qu'on feuillette le ?Dictionnaire généalogique? de M. Tanguay. Ce précieux ouvrage m'a été d'une grande utilité. On a remarqué, sans doute, que l'intendant ne figure point parmi ces personnages; c'est que M. Robert, conseiller d'état, le premier qui ait été nommé intendant de justice, de police, de finance et de marine pour la Nouvelle-France, ne vint jamais au Canada. M. Talon, qui arriva à Québec en 1665, est le premier qui ait exercé cet emploi dans la Nouvelle-France.]
Comme la députation Iroquoise ne s'était pas encore fait annoncer, M de Mésy présenta le chevalier de Mornac à l'élite de la société québecquoise, réunie au chateau. On fit le plus bienveillant accueil au jeune homme, que Ruette d'Auteuil invita même à aller passer la soirée chez lui en compagnie de quelques amis qu'il devait réunir.
Mornac accepta avec joie, se montra sensible à tous ces bons procédés, et commen?ait à répondre au grand nombre de questions qu'on lui posait sur l'état de la France lors de son départ, quand la porte s'ouvrit pour donner passage aux députés Iroquois.
Le silence se fit dans la grande salle; le chef de la députation s'avan?a vers M. de Mésy, aux c?té duquel s'étaient rangées les personnes que nous avons mentionnées plus haut.
C'était un fameux capitaine agnier que ce chef, et redoutable autant par sa bravoure que par son épouvantable cruauté. Des Fran?ais, qui avaient été prisonniers dans le grand village agnier, avait surnommé ce farouche guerrier, Néron. Il avait autrefois immolé quatre-vingt hommes aux manes d'un de ses frères, tué en guerre, en les faisant tous br?ler à petit feu, puis en avait massacré soixante autres de sa propre main. Pour perpétuer le souvenir de cette horrible hécatombe, il en avait fait ?tatouer les marques sur sa cuisse qui, pour ce sujet, paraissait toute couverte de caractères noirs?. [11]
[Note 11: Historique. Voir Les Relations des Jésuites Vol. III, 1663, ch. IX, p. 25.]
Le nom qu'il avait re?u de sa famille
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