Chevalier de Mornac | Page 8

Joseph Marmette
chaque pas. Retenue sur la poitrine par une courroie, une robe de peau de castor, de vison, de loutre ou de martre, leur tombait des épaules jusqu'au jarret. Du haut en bas de cette sorte de manteau d'un très-grand prix, étaient teintes de longues raies, également distantes et larges d'environ deux pouces; on aurait dit des passementeries. Au bas de la robe les queues de vison, de martre ou de loutre pendaient en franges soyeuses, tandis que la tête de ses animaux était fixée en haut pour servir d'une espèce de rebord.
Ces hommes, le chef en tête, marchaient gravement et sans daigner regarder la foule de curieux qui les suivaient.
--Cap de diou se dit Mornac avec des yeux tout grands de surprise, voici bien de curieux personnages!
Et se penchant hors de la fenêtre, il apostropha Boisdon, qui parlait avec emphase au milieu de quelques-uns de ses nouveaux h?tes que l'étrangeté du spectacle avait attirés à la porte de l'auberge.
--Père Boisdon!
--Monsieur le comte? fit le digne homme, qui leva vers la fenêtre sa figure empourprée par la bonne chère et le vin.
--Quels sont donc ces dr?les?
--C'est une députation d'Iroquois que M. le Gouverneur doit recevoir ce matin.
--Oh! oh! sandiou! ce sont là ces croquemitaines qui font tant de peur aux grands enfants de la Nouvelle-France!
Puis, à demi-voix:
--Mais à propos du Gouverneur, n'est-il pas temps de lui demander audience afin, d'abord, de lui remettre des dépêches de la cour, et ensuite de le prier de s'intéresser en ma faveur.
--Monsieur Boisdon! cria-t-il de nouveau.
--Qu'y a-t-il à votre service, monsieur le Comte?
--Pouvez-vous me faire conduire au chateau Saint-Louis?
--Certainement. Jean, holà! Tu vas guider M. le comte au chateau.
Le gamin, qui espérait entrer à la suite du gentilhomme et assister ainsi à la réception des Iroquois, accepta avec enthousiasme.
Mornac sortit les dépêches de sa valise, les mit dans la poche de son pourpoint, reprit son épée qu'il avait quittée pour se mettre à table, descendit dans la rue et suivit Boisdon fils. Celui-ci, fier d'escorter un gentilhomme et de se rendre au chateau, jetait des regards vainqueurs sur les connaissances de son age qui flanaient dans la rue et contemplaient avec envie leur heureux ami Jean Boisdon.

CHAPITRE II
HARANGUES ET PIROUETTES
La résidence des gouverneurs fran?ais, appelée Chateau du Fort ou Saint-Louis, s'élevait sur les fondations mêmes qui soutiennent encore aujourd'hui la terrasse Durham. Commencé par Champlain, le chateau avait été peu à peu agrandi, amélioré, fortifié par M. de Montmagny et ses successeurs. Dominant la basse-ville et perché sur le bord de la falaise, cent quatre-vingt pieds au-dessus du fleuve, le donjon formait un grand corps de logis de deux étages, ayant cent vingt pieds de longueur, aux deux pavillons qui composaient des avant et arrière-corps.
Sur la fa?ade du batiment régnait une longue terrasse, qui surplombait le cap et communiquait de plein pied avec le rez-de-chaussée.
Un grand mur d'enceinte, flanqué de deux bastions, mais sans aucun fossé, défendait le chateau du c?té de la ville.
A cette époque, le gouverneur-général était M. de Mésy, vieux militaire et ancien major de la citadelle de Caen. Son prédécesseur, M. d'Avaugour, ayant été rappelé en France par suite des démêlés qu'il avait eus avec Mgr. de Laval, au sujet de la traite de l'eau-de-vie, l'évêque de Québec avait demandé à la cour de choisir lui-même le futur gouverneur; ce qui lui avait été accordé. Le prélat avait désigné M. de Mésy, l'un de ses anciens amis. Mais il se repentit bient?t de son choix. Car à peine le nouveau gouverneur fut-il arrivé à Québec, que la guerre éclata entre l'évêque et lui. L'élection du syndic des habitants mit le feu de la discorde au sein du Conseil Souverain. La plus grande partie du Conseil était opposée au principe électif et repoussa trois fois l'élection du syndic. Pour faire triompher ses idées, certainement plus libérales alors que celles de la majorité dirigée par l'évêque, le gouverneur suspendit plusieurs membres de leurs fonctions, et for?a le procureur-général Bourdon, ainsi que le conseiller Villeraye, à s'embarquer pour l'Europe.
Quoiqu'on ne puisse approuver l'opportunité de ces mesures, il résulta de tous ces tiraillements et des scènes violentes qui s'ensuivirent entre le gouverneur et l'évêque, que si M. de Mésy se montra trop ardent, trop emporté, trop irréfléchi dans ses procédés Mgr de Laval, de son c?té, ne mit peut-être pas assez de soin à se concilier l'esprit altier de son ex-ami par quelques concessions habiles. D'ailleurs les querelles que le même prélat eut plus tard avec M. de Frontenac, prouvent que monsieur l'évêque, ainsi qu'on disait alors, était très-entier dans ses opinions, et que le sang royal qui coulait dans ses veines s'échauffait fort facilement dès qu'on faisait mine de froisser, tant soit peu, les idées éminemment autocratiques qu'il tenait de son auguste cousin Louis XIV.
Mornac s'était fait annoncer et venait d'être introduit auprès du
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