Cham et Japhet | Page 2

Ausone de Chancel
de nature,
n'eussent point émigré spontanément, tout moyen d'émigration leur
manquant d'ailleurs: Dieu les expatria de force.--Nous ne pouvions aller
à eux, il nous les envoya, et dans la seule condition qui pût mettre en
rapport les deux races.
Cette fois encore l'esclavage était providentiel. Que nous en ayons
abusé, c'est une question de libre arbitre qui ne prévaudra point contre
Dieu.
En d'autres termes, Dieu ne livre le nègre au blanc que pour mettre
celui-là à l'école de celui-ci; s'il le livre esclave, c'est à la fois pour que
l'élève soit placé dans les conditions les plus absolues de soumission, et
pour qu'au prix de son travail il trouve un maître qui consente à lui
servir d'éducateur. Il est remarquable que l'antipathie des deux races
tend à s'atténuer aussi longtemps que l'une est esclave de l'autre, et
qu'elle se produit au contraire dans son expansion la plus exagérée,

aussitôt qu'elles sont, par un fait quelconque, appelées à traiter d'égale à
égale.
«Le préjugé de race, a dit M. de Tocqueville, me paraît plus fort dans
les États qui ont aboli l'esclavage que dans ceux où il existe encore, et
nulle part il ne se montre aussi intolérant que dans les États où la
servitude a toujours été inconnue.»
Or, cette antipathie du maître qui s'accroît en raison du progrès de
l'élève est un enseignement non compris on trop dédaigné des desseins
de la Providence, qui ne les a point rapprochés pour qu'à jamais ils
vivent côte à côte, mais pour que, l'éducation du barbare étant faite, il
soit repoussé d'un pays où sa présence est inutile et dangereuse, et
renvoyé dans sa terre natale, où nul autre que lui ne peut aller porter sa
contagieuse civilisation.
La volonté divine est en cela si manifeste, qu'elle se traduit sans pitié
par la réprobation dont est frappée, même aux yeux de ses pères, la race
malheureuse issue des blancs et des négresses,--non point que j'aille
jusqu'à penser qu'elle soit, comme il a été avancé, le fruit maudit du
crime de bestialité[4]; mais elle porte évidemment la peine d'une
origine désavouée, sinon par la nature, du moins par la société, et, à ce
titre, condamnée par un arrêt mystérieux;--car ce n'est pas seulement
l'affranchi de sang pur, le nègre noir, que le blanc met à part et relègue
hors de son milieu à toute la distance de son mépris,--c'est encore le
mulâtre, le quarteron, tout homme de descendance nègre, à quelque
dose imperceptible que le sang africain soit mêlé dans ses veines. Et
l'oeil du blanc créole a, pour découvrir cette altération, des facultés
d'instinct prodigieuses, incroyables, que n'atteindra jamais la
physiologie. Il n'y a point de baptême qui puisse laver le métis de cette
tache originelle, ni le baptême du chrétien, ni le baptême d'un grand
nom, ni celui de la fortune, ni celui de la science, ni celui de
l'esprit,--c'est un paria.
[Note 4: «Les nègres et mulâtres même ne sont qu'une variété de
l'orang-outang; et, pour faire cesser le crime de bestialité, il importe de
déclarer infâme et vilain tout blanc qui désormais s'unirait à une femme
de couleur.» (Beauvais, conseiller supérieur à Saint-Domingue, 1790.)]

Il n'est pas jusqu'au nègre noir qui ne dise orgueilleusement à l'homme
de couleur: «Moi, je suis de sang pur; toi, tu es de sang mêlé.»
Or, un fait aussi considérable a sûrement sa raison d'être: c'est que, je le
répète, les nègres ne sont vis-à-vis de nous, premiers-nés dans l'ordre
social, que des enfants derniers venus, confiés à notre tutelle temporaire,
et qu'il nous est imposé de moraliser par le précepte et par
l'exemple,--rien de plus,--sous peine d'attentat, sinon contre nature,
incestueux de moins de tuteurs à pupilles, portant désaveu devant Dieu
et réprobation devant l'humanité de la race nouvelle ainsi créée, et à qui
la Genèse n'a assigné aucune place dans le monde.
Nous voici, quant à cette loi de principe, en opposition avec MM.
d'Eichthal et Ismaël Urbain, à qui «le noir paraît être la race femme
dans la famille humaine, comme le blanc la race mâle..., le noir, de
même que la femme, étant privé des facultés politiques, scientifiques et
créatrices; mais, comme elle, possédant au plus haut degré les qualités
du coeur, les affections et les sentiments domestiques, la passion de la
parure, de la danse et du chant[5]»
[Note 5: Lettres sur la race noire et la race blanche. Paris, 1839..]
De là cette conclusion: «que les moyens d'associer les blancs et les
noirs se résument par ces mots: domesticité et plaisir;»--conclusion qui,
pour les auteurs que je cite, prendrait appui sur ces paroles de
Napoléon:
«Lorsqu'on voudra, dans nos colonies, donner la liberté aux noirs et y
établir une égalité parfaite, il faudra que le législateur autorise la
polygamie, et permette d'avoir à la fois une femme blanche, une
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