Cesarine Dietrich | Page 5

George Sand
sous tous les autres rapports.
--Vous êtes un observateur sévère, monsieur Dietrich, et je crains que
mon tour d'être jugée avec cette impartialité écrasante ne vienne bientôt;
cela me fait peur, je l'avoue, car je suis loin de me sentir parfaite.
--Vous êtes relativement parfaite, mon jugement est tout porté, vous
gâterez Césarine d'autant plus. Ce ne sera pas par égoïsme comme les
autres, qui regrettent le plaisir et rêvent de le voir repousser avec elle
dans la maison; ce sera par bonté, par dévouement, par tendresse pour
elle, car elle a déjà, cette petite, des séductions irrésistibles....
--Que vous subissez tout le premier!
--Oui, mais je m'en défends; défendez-vous aussi, voilà tout ce que je
vous demande; faites cet effort dans son intérêt, promettez-le-moi.
--Oui, certes, je vous le promets, si je vois qu'elle abuse de ma
condescendance pour exiger ce qui lui serait nuisible; mais cela n'est
point encore arrivé, et je ne puis me tourmenter d'une prévision que
rien ne justifie encore.
--Vous comptez pour rien sa résistance à mon désir de vendre l'hôtel?

--Dois-je l'engager à se soumettre sans faiblesse à ce désir?
--Oui, je vous en prie.
--Oserai-je vous dire que cela me semble cruel?
--Non, car je ne te vendrai pas; je veux faire semblant pour que
Césarine apprenne à me céder de bonne grâce. Soyez certaine que, si on
n'apprend pas aux enfants à renoncer à ce qui leur plaît, ils ne
l'apprendront jamais d'eux-mêmes. Le bonheur qu'on prétend leur
donner en fait des malheureux pour le reste de leur vie.
Il avait peut-être raison. Je n'osai pas insister, et j'allai rejoindre mon
élève avec l'intention de faire ce qui m'était prescrit, mais je la trouvai
souriante.
--Épargnez-vous la peine de me persuader, me dit-elle dès les premiers
mots; j'ai entendu par hasard tout ce que papa vous a dit et tout ce que
vous lui avez répondu. J'étais dans le jardin, à deux pas de vous,
derrière la fontaine, et le petit bruit de l'eau ne m'a pas fait perdre une
de vos paroles. Il n'y a pas de mal à cela, vous êtes deux anges pour
moi, mon père et vous: lui, un ange à figure sévère qui veut mon
bonheur par tous les moyens,--vous, un ange de douceur qui veut la
même chose par les moyens qui sont dans sa nature; mais voyez
comme vous êtes plus dans la vérité que mon père! Vous vouliez le
faire renoncer à sa méthode, vous sentiez bien qu'elle pouvait me
conduire à l'hypocrisie. Où en serait-il, mon pauvre cher papa, si, après
m'avoir vue bien résignée, il découvrait que je n'ai pas pris au sérieux
ses menaces? Vraiment, si je dois être gâtée, comme on dit, c'est-à-dire
corrompue moralement, ce sera par lui! Il m'habituera à faire semblant
d'être sacrifiée et à lui imposer ainsi, sans qu'il s'en doute, le sacrifice
de sa volonté. Allons, Dieu merci, je suis meilleure qu'il ne pense», je
céderai à tout par amitié pour lui, je vous chérirai pour celle que vous
me montrez sans pédanterie, je vous rendrai très-heureux, seulement....
--Seulement quoi? dites, ma chérie.
--Rien, répondit-elle en me baisant la main; mais son bel oeil caressant

et fier acheva clairement sa phrase; je vous rendrai très-heureux,
seulement vous ferez toutes mes volontés.
Elle savait bien ce qu'elle disait là, l'énergique, l'obstinée, la puissante
fillette! Elle réunissait en elle la souplesse instinctive de sa mère et
l'entêtement voulu de son père. Au dire du vieux médecin de la famille,
que je consultais souvent sur le régime à lui faire suivre, elle avait
comme une double organisation, toute la patience de la femme adroite
pour arriver à ses fins, toute l'énergie de l'homme d'action pour
renverser les obstacles et faire plier les résistances.--En ce cas,
pensais-je, de quoi donc se tourmente son père? Il la veut forte, eue est
invincible. Il cherche à la bronzer, elle est le feu qui bronze les autres.
Il prétend lui apprendre à souffrir, comme si elle n'était pas destinée à
vaincre! Ceux qui savent dominer souffrent-ils?
Elle m'effraya; je me promis de la bien étudier avant de me décider à
graviter comme un satellite autour de cet astre. Il s'agissait de savoir si
elle était bonne autant qu'aimable, si elle se servirait de sa force pour
faire le bien ou le mal.
Cela n'était pas facile à deviner, et j'y consacrai plus d'une année. Un
jour, à la campagne, je fus importunée par les cris d'un petit oiseau
qu'elle élevait en cage et qui n'avait rien à manger. Comme il troublait
la leçon de musique et que d'ailleurs je ne puis voir souffrir, je me levai
pour lui donner du pain. Césarine parut ne pas s'en apercevoir; mais
après la leçon elle emporta la cage dans sa chambre, et j'entendis
bientôt que le
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