Cesarine Dietrich | Page 7

George Sand
qui se contrariaient sans l'étonner.
--Je veux m'arranger, disait-elle alors, pour vivre en bonne intelligence avec les extrêmes que je porte en moi. J'aime l'éclat et l'ombre, le silence et le bruit. Il me semble qu'on est heureux quand on peut faire bon ménage avec les contrastes.
--Oui, lui disais-je, c'est possible dans certains cas; mais il y a le grand, l'éternel contraste du mal et du bien, qui ne se logeront jamais dans le même coeur sans que l'un étouffe l'autre.
--Je vous répondrai, reprenait-elle, quand je saurai ce que cela veut dire. Vous me permettrez, à l'age que j'ai de ne pas savoir encore ce que c'est que le mal.
Et elle s'arrangeait pour ne pas para?tre le savoir. Si je surprenais en elle un mouvement d'égo?sme et de cruauté, comme dans l'histoire du petit oiseau, sa figure exprimait un étonnement candide.
--Je n'avais pas songé à cela, disait-elle.
Mais jamais elle ne s'avouait coupable ni résolue à ne plus l'être. Elle promettait d'y réfléchir, d'examiner, de se faire une opinion. Elle ne croyait pas qu'on e?t le droit de lui en demander davantage, et protestait assez habilement contre les convictions imposées.
Nous passames huit mois à la campagne dans un véritable éden et dans une solitude qu'interrompaient peu agréablement de rares visites de cérémonie. M. Dietrich se passionnait pour l'agriculture, et peu à peu il ne se montra plus qu'aux repas. Mademoiselle Helmina Dietrich était absorbée par les soins du ménage. Césarine était donc condamnée à vivre entre deux vieilles filles, l'une très-gaie (Helmina aimait à être taquinée par sa nièce, qui la traitait amicalement comme une enfant), mais sans influence aucune sur elle; l'autre, sérieuse, mais irrésolue et inquiète encore. J'avoue que je n'osais rien, craignant d'irriter secrètement un amour-propre que la lutte e?t exaspéré. Nous rev?nmes à Paris au milieu de l'hiver. Césarine, qui n'avait pas marqué le moindre dépit de rester si longtemps à la campagne, ne fit pas para?tre toute sa joie de revoir Paris, sa chère maison et ses anciennes connaissances; mais je vis bien que son père avait raison de penser qu'elle aimait le monde. Sa santé, qui n'avait pas été brillante depuis la mort de sa mère, prit le dessus rapidement dès qu'on put lui procurer quelques distractions.
Cette victoire, qui f?t définitive dans son équilibre physique, la rendit en peu de temps si belle, si séduisante d'aspect et de manières, qu'à seize ans elle avait déjà tout le prestige d'une femme faite. Son intelligence progressa dans la même proportion. Je la voyais éclore presque instantanément. Elle devinait ce qu'elle n'avait pas le temps d'apprendre; les arts et la littérature se révélaient à elle comme par magie. Son go?t devenait pur. Elle n'avait plus de paradoxes, elle se corrigeait de poser l'originalité. Enfin elle devenait si remarquable qu'au bout de mon année d'examen je me résumai ainsi avec M. Dietrich:
--Je resterai. Je ne suis pas nécessaire à votre fille. Personne ne lui est et ne lui sera, peut-être jamais nécessaire, car, ne vous y trompez pas, elle est une personne supérieure par elle-même; mais je peux lui être utile, en ce sens que je peux la confirmer dans l'essor de ses bons instincts. S'il venait à s'en produire de mauvais, je ne les détruirais pas, et vous ne les détruiriez pas plus que moi; mais à nous deux nous pourrions en retarder le développement ou en amortir les effets. Elle me le dit du moins, elle a pris de l'affection pour moi et me prie avec ardeur de ne pas la quitter. Moi, je me dis qu'elle mérite que je m'attache à elle, fall?t-il souffrir quelquefois de mon dévouement.
M. Dietrich m'exprima une très-vive reconnaissance, et je m'installai définitivement chez lui. Je donnai congé du petit appartement que j'avais voulu garder jusque-là, j'apportai mon modeste mobilier, mes petits souvenirs de famille, mes livres et mon piano à l'h?tel Dietrich, et je consentis à y occuper un très-joli pavillon que j'avais jusque-là refusé par discrétion. C'était le logement de mademoiselle Helmina, qui prenait celui de sa défunte belle-soeur et se trouvait ainsi sous la même clef que Césarine.
J'eus dès lors une indépendance plus grande que je ne l'avais espéré. Je pouvais recevoir mes amis sans qu'ils eussent à défiler sous les yeux de la famille Dietrich. Le nombre en était bien restreint; mais je pouvais voir mon cher filleul tout à mon aise et le soustraire aux critiques probablement trop spirituelles que Césarine e?t pu faire tomber sur sa gaucherie de collègien.
Cette gaucherie n'existait plus heureusement. Ce fut une grande joie pour moi de retrouver mon cher enfant grandi et en bonne santé. Il n'était pas beau, mais il était charmant, il ressemblait à ma pauvre soeur: de beaux yeux noirs doux et pénétrants, une bouche parfaite de distinction et de finesse, une paleur intéressante sans être maladive, des cheveux
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