père était si courageux que le
tsar lui-même l'aimait»... Ce petit père avait besoin d'un auditeur de quatre ans; c'était un
Foma Fomitch.)... Les paysans l'écoutaient avec vénération.
-- Dis donc, mon petit père, combien avais-tu d'appointements? lui demanda soudain
Arkhip Korotkï, un vieillard aux cheveux tout blancs, dans une intention évidemment
flatteuse. Mais la question sembla par trop familière à Foma, qui ne pouvait supporter la
familiarité.
-- Qu'est-ce que cela peut te faire, imbécile? répondit-il en regardant le malheureux
paysan avec mépris. Qu'est-ce qui te prend d'attirer mon attention sur ta gueule? Est-ce
pour me faire cracher dessus?
C'était le ton qu'adoptait généralement Foma dans ses conversations avec «l'intelligent
paysan russe».
-- Notre père, fit un autre, nous sommes de pauvres gens. Tu es peut-être un major, un
colonel ou même une Excellence... Nous ne savons même pas comment t'adresser la
parole.
-- Imbécile! reprit Foma, s'adoucissant, il y a appointements et appointements, tête de
bois! Il en est qui ont le grade de général et qui ne reçoivent rien, parce qu'ils ne rendent
aucun service au tsar. Moi, quand je travaillais pour un ministre, j'avais vingt mille
roubles par an, mais je ne les touchais pas; je travaillais pour l'honneur, me contentant de
ma fortune personnelle. J'ai abandonné mes appointements au profit de l'instruction
publique et des incendiés de Kazan.
-- Alors, c'est toi qui as rebâti Kazan? reprenait le paysan étonné, car, en général, Foma
Fomitch étonnait les paysans.
-- Mon Dieu, j'en ai fait ma part, répondait-il négligemment, comme s'il s'en fût voulu
d'avoir honoré un tel homme d'une telle confidence.
Ses entretiens avec mon oncle étaient d'une autre sorte.
-- Qu'étiez-vous avant mon arrivée ici? disait-il, mollement étendu dans le confortable
fauteuil où il digérait un déjeuner copieux, pendant qu'un domestique placé derrière lui
s'évertuait à chasser les mouches avec un rameau de tilleul. À quoi ressembliez- vous? Et
voici que j'ai jeté en votre âme cette étincelle du feu céleste qui y brille à présent! Ai-je
jeté en vous une étincelle de feu sacré, oui ou non? Répondez: l'ai-je jetée, oui ou non?
Au vrai, Foma Fomitch ne savait pas pourquoi il avait fait cette question. Mais le silence
et la gêne de mon oncle l'irritaient. Jadis si patient et si craintif, il s'enflammait
maintenant à la moindre contradiction. Le silence de ce brave homme l'outrageait: il lui
fallait une réponse.
-- Répondez: l'étincelle brûle-t-elle en vous ou non?
Mon oncle ne savait plus que devenir.
-- Permettez-moi de vous faire observer que je vous attends! insistait le pique-assiette
d'un air offensé.
-- Mais répondez donc, Yegorouchka! intervenait la générale en haussant les épaules.
-- Je vous demande: l'étincelle brûle-t-elle en vous, oui ou non? réitérait Foma très
indulgent, tout en picorant un bonbon dans la boîte toujours placée devant lui sur l'ordre
de la générale.
-- Je te jure, Foma, que je n'en sais rien, répondait enfin le malheureux, avec un visage
désolé. Il y a sans doute quelque chose de ce genre... Ne me demande rien... Je crains de
dire une bêtise...
-- Fort bien. Alors, selon vous, je serais un être si nul que je ne mériterais même pas une
réponse; c'est bien cela que vous avez voulu dire? Soit, je suis donc nul.
-- Mais non, Foma! Que Dieu soit avec toi! Je n'ai jamais voulu dire cela.
-- Mais si. C'est précisément ce que vous avez voulu dire.
-- Je jure que non!
-- Très bien. Mettons que je suis un menteur! D'après vous, ce serait moi qui chercherais
une mauvaise querelle?... Une insulte de plus ou de moins...! Je supporterai tout.
-- Mais, mon fils!... clame la générale avec effroi.
-- Foma Fomitch! Ma mère! s'écrie mon oncle navré. Je vous jure qu'il n'y a pas de ma
faute. J'ai parlé inconsidérément... Ne fais pas attention à ce que je dis, Foma; je suis bête;
je sens que je suis bête, qu'il me manque quelque chose... Je sais, je sais, Foma! Ne me
dis rien! -- continue-t-il en agitant la main. -- Pendant quarante ans, jusqu'à ce que je te
connusse, je me figurais être un homme ordinaire et que tout allait pour le mieux. Je ne
m'étais pas rendu compte que je ne suis qu'un pécheur, un égoïste et que j'ai fait tant de
mal que je ne comprends pas comment la terre peut encore me porter.
-- Oui, vous êtes bien égoïste! remarque Foma avec conviction.
-- Je le comprends maintenant moi-même. Mais je vais me corriger et devenir meilleur.
-- Dieu vous entende! conclut Foma en poussant un pieux soupir et en se levant pour aller
faire sa sieste accoutumée.
Pour finir ce chapitre, qu'on me permette de dire quelques mots de mes relations
personnelles avec mon oncle et d'expliquer comment je fus mis en
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