Carnet dun inconnu | Page 5

Fyodor Dostoyevsky
c'est qu'il avait r��ellement confectionn�� un roman dans le genre de ceux qui servaient de pature �� l'esprit du Baron Brambeus (Pseudonyme de Jenkovski, ��crivain russe tr��s connu). Sans doute beaucoup de temps avait pass�� depuis, mais l'aspic de la vanit�� litt��raire fait parfois des piq?res bien profondes et m��mes incurables, surtout chez les individus born��s.
D��sabus�� d��s son premier pas dans la carri��re des lettres, Foma Fomitch s'��tait �� jamais joint au troupeau des afflig��s, des d��sh��rit��s, des errants. Je pense que c'est de ce moment que se d��veloppa chez lui cette vantardise, ce besoin de louanges, d'hommages, d'admiration et de distinction. Ce pitre avait trouv�� moyen de rassembler autour de lui un cercle d'imb��ciles extasi��s. Son premier besoin ��tait d'��tre le premier quelque part, n'importe o��, de vaticiner, de fanfaronner, et si personne ne le flattait, il s'en chargeait lui-m��me. Une fois qu'il fut devenu le ma?tre incontest�� de la maison de mon oncle, je me souviens de l'avoir entendu prononcer les paroles que voici:
?Je ne resterai plus longtemps parmi vous -- et son ton s'emplissait d'une gravit�� myst��rieuse -- Quand je vous aurait tous ��tablis et que je vous aurai fait saisir le sens de la vie, je vous dirai adieu et je m'en irai �� Moscou pour y fonder une revue. Je ferai des cours o�� passeront mensuellement trente mille auditeurs. Alors, mon nom retentira partout et malheur �� mes ennemis!?
Mais, tout en attendant la gloire, ce g��nie exigeait une r��compense imm��diate. Il est toujours agr��able d'��tre pay�� d'avance et surtout dans un cas pareil. Je sais que Foma se pr��sentait s��rieusement �� mon oncle comme venu au monde pour accomplir une grande mission o�� le conviait sans cesse un homme ail�� qui le visitait la nuit. Il devait ��crire un livre compact et salutaire aux ames, un livre qui provoquerait un tremblement de toute la terre et ferait craquer la Russie. Quand viendrait l'heure du cataclysme, Foma, renon?ant �� sa gloire, se retirerait dans un monast��re et prierait jour et nuit pour le bonheur de la patrie, au fond des catacombes de Kiev.
Il vous est maintenant loisible d'imaginer ce que pouvait devenir ce Foma apr��s toute une existence d'humiliations, de pers��cutions et peut-��tre m��me de taloches, ce Foma sensuel et vaniteux au fond, ce Foma ��crivain m��connu, ce Foma qui gagnait son pain �� bouffonner, ce Foma �� l'ame de tyran en d��pit de sa nullit��, ce Foma vantard et insolent �� l'occasion! ce qu'il pouvait devenir, ce Foma, quand il connut enfin les honneurs et la gloire, quand il se vit admir�� et choy�� d'une protectrice idiote et d'un protecteur fascin�� et d��bonnaire, chez qui il avait enfin trouv�� �� s'implanter apr��s tant de p��r��grinations! Mais il me faut ici d��velopper le caract��re de mon oncle; le succ��s de Foma serait incompr��hensible sans cela, autant que la ma?trise qu'il exer?ait dans la maison et que sa m��tamorphose en grand homme.
Mon oncle n'��tait pas seulement bon, mais encore d'une extr��me d��licatesse sous son ��corce un peu grossi��re, et d'un courage �� toute ��preuve. J'ose employer ce terme de courage, car aucun devoir, aucune obligation ne l'eussent arr��t��; il ne connaissait pas d'obstacles. Son ame noble ��tait pure comme celle d'un enfant. Oui, �� quarante ans, c'��tait un enfant expansif et gai, prenant les hommes pour des anges, s'accusant de d��fauts qu'il n'avait pas, exag��rant les qualit��s des autres, en d��couvrant m��me o�� il n'y en avait jamais eu. Il ��tait de ces grands coeurs qui ne sauraient sans honte supposer le mal chez les autres, qui parent le prochain de toutes les vertus, qui se r��jouissent de ses succ��s, qui vivent sans relache dans un monde id��al, qui prennent sur eux toutes leurs fautes. Leur vocation est de sacrifier aux int��r��ts d'autrui. On l'e?t pris pour un ��tre veule et faible de caract��re et sans doute, il ��tait trop faible; cependant, ce n'��tait pas manque d'��nergie, mais crainte d'humilier, crainte de faire souffrir ses semblables qu'il aimait tous.
Au surplus, il ne montrait de faiblesse que dans la d��fense de ses propres int��r��ts, n'h��sitant jamais �� les sacrifier pour des gens qui se moquaient de lui. Il lui semblait impossible qu'il e?t des ennemis; il en avait cependant, mais ne les voyait point. Ayant une peur bleue des cris et des disputes, il c��dait toujours et se soumettait en tout, mais par bonhomie, par d��licatesse et -- disait-il, en vue d'��loigner tout reproche de faiblesse -- ?pour que tout le monde f?t content?.
Il va sans dire qu'il ��tait pr��t �� subir toute noble influence, ce qui permettait �� telle canaille habile de s'emparer de lui jusqu'�� l'entra?ner dans quelque mauvaise action pr��sent��e sous le voile d'une intention pure. Car mon oncle ��tait follement confiant et ce fut pour lui la cause de beaucoup d'erreurs. Apr��s de douloureux
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