combats, lorsqu'il fin?t par reconna?tre la malhonnêteté de son conseiller, il ne manquait pas de prendre toute la faute à son compte.
Figurez-vous maintenant sa maison livrée à une idiote capricieuse, en adoration devant un autre imbécile jusque là terrorisé par son général et br?lant du désir de se dédommager du passé, une idiote devant laquelle mon oncle croyait devoir s'incliner parce qu'elle était sa mère. On avait commencé par convaincre le pauvre homme qu'il était grossier, brutal, ignorant et d'un égo?sme révoltant, et il importe de remarquer que la vieille folle parlait sincèrement.
Foma était sincère, lui aussi. Puis, on avait ancré dans l'esprit de mon oncle cette conviction que Foma lui avait été envoyé par le ciel pour le salut de son ame et pour la répression de ses abominables vices; car n'était-il pas un orgueilleux, toujours à se vanter de sa fortune et capable de reprocher à Foma le morceau de pain qu'il lui donnait? Mon pauvre oncle avait fini par contempler douloureusement l'ab?me de sa déchéance, il voulait s'arracher les cheveux, demander pardon...
-- C'est ma faute! disait-il à ses interlocuteurs, c'est ma faute! On doit se montrer délicat envers celui auquel on rend service... Que dis-je? Quel service? je dis des sottises; ce n'est pas moi qui lui rends service; c'est lui, au contraire qui m'oblige en consentant à me tenir compagnie. Et voilà que je lui ai reproché ce morceau de pain!... C'est-à-dire, je ne lui ai rien reproché, mais j'ai certainement d? laisser échapper quelques paroles imprudentes comme cela m'arrive souvent... C'est un homme qui a souffert, qui a accompli des exploits, qui a soigné pendant dix ans son ami malade, malgré les pires humiliations; cela vaut une récompense!... Et puis l'instruction!... Un écrivain! un homme très instruit et d'une très grande noblesse...
La seule image de ce Foma instruit et malheureux en butte aux caprices d'un malade hargneux, lui gonflait le coeur d'indignation et de pitié. Toutes les étrangetés de Foma, toutes ses méchancetés, mon oncle les attribuait aux souffrances passées, aux humiliations subies, qui n'avaient pu que l'aigrir. Et, dans son ame noble et tendre, il avait décidé qu'on ne pouvait être aussi exigeant à l'égard d'un martyr qu'à celui d'un homme ordinaire, qu'il fallait non seulement lui pardonner, mais encore panser ses plaies avec douceur, le réconforter, le réconcilier avec l'humanité. S'étant assigné ce but, il s'enthousiasma jusqu'à l'impossible, jusqu'à s'aveugler complètement sur la vulgarité de son nouvel ami, sur sa gourmandise, sur sa paresse, sur son égo?sme, sur sa nullité. Mon oncle avait une foi absolue dans l'instruction, dans le génie de Foma. Ah! mais j'oublie de dire que le colonel tombait en extase aux mots ?littérature? et ?science?, quoiqu'il n'e?t lui-même jamais rien appris.
C'était une de ses innocentes particularités.
-- Il écrit un article! disait-il en traversant sur la pointe des pieds les pièces avoisinant le cabinet de travail de Foma Fomitch, et il ajoutait avec un air mystérieux et fier: -- Je ne sais au juste ce qu'il écrit, peut-être une chronique... mais alors quelque chose d'élevé... Nous ne pouvons pas comprendre cela, nous autres... Il m'a dit traiter la question des forces créatrices. ?a doit être de la politique. Oh! son nom sera célèbre et entra?nera le n?tre dans sa gloire... Lui-même me le disait encore tout à l'heure, mon cher...
Je sais positivement que, sur l'ordre de Foma, mon oncle dut raser ses superbes favoris blond foncé, son tyran ayant trouvé qu'ils lui donnaient l'air fran?ais et par conséquent fort peu patriote. Et puis, peu à peu, Foma se mit à donner de sages conseils pour la gérance de la propriété; ce fut effrayant!
Les paysans eurent bient?t compris de quoi il retournait et qui était le véritable ma?tre, et ils se grattaient la nuque. Il m'arriva de surprendre un entretien de Foma avec eux. Foma avait déclaré qu'il?aimait causer avec l'intelligent paysan russe? et, quoiqu'il ne s?t pas distinguer l'avoine du froment, il n'hésita pas à disserter d'agriculture. Puis il aborda les devoirs sacrés du paysan envers son seigneur. Après avoir effleuré la théorie de l'électricité et la question de la répartition du travail, auxquelles il ne comprenait rien, après avoir expliqué à son auditoire comment la terre tourne autour du soleil, il en vint, dans l'essor de son éloquence, à parler des ministres. (Pouchkine a raconté l'histoire d'un père persuadant à son fils agé de quatre ans que ?son petit père était si courageux que le tsar lui-même l'aimait?... Ce petit père avait besoin d'un auditeur de quatre ans; c'était un Foma Fomitch.)... Les paysans l'écoutaient avec vénération.
-- Dis donc, mon petit père, combien avais-tu d'appointements? lui demanda soudain Arkhip Korotk?, un vieillard aux cheveux tout blancs, dans une intention évidemment flatteuse. Mais la question sembla par trop familière à Foma, qui ne pouvait supporter la familiarité.
-- Qu'est-ce que cela
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