se la montrait au passage, en riant, en s'indignant un peu de son air de personne tranquille que d��mentaient, trouvait-on, son dandinement et sa chevelure jaune. On savait m��me o�� elle habitait, et que le veuf allait la voir tous les soirs. Encore un peu, on aurait dit les heures et son itin��raire...
Les bourgeoises curieuses, dans le vide des apr��s-midi inoccup��es, surveillaient son passage, assises �� une crois��e, l'��piant dans ces sortes de petits miroirs qu'on appelle des espions et qu'on aper?oit �� toutes les demeures, fixes sur l'appui ext��rieur de la fen��tre. Glaces obliques o�� s'encadrent des profils ��quivoques de rues; pi��ges miroitants qui capturent, �� leur insu, tout le man��ge des passants, leurs gestes, leurs sourires, la pens��e d'une seule minute en leurs yeux--et r��percute tout cela dans l'int��rieur des maisons o�� quelqu'un guette.
Ainsi, grace �� la trahison des miroirs, on connut vite toutes les all��es et venues de Hugues et chaque d��tail du quasi concubinage dans lequel il vivait maintenant avec Jane. L'illusion o�� il persistait, ses na?ves pr��cautions de ne l'aller voir qu'au soir tombant greff��rent d'une sorte de ridicule cette liaison qui avait offusqu�� d'abord, et l'indignation s'acheva dans des rires.
Hugues ne soup?onnait rien. Et il continua �� sortir quand le jour d��cline, pour s'acheminer, en de volontaires d��tours, vers la toute proche banlieue.
Comme, �� pr��sent, elles lui furent moins douloureuses, ces promenades au cr��puscule! Il traversait la ville, les ponts centenaires, les quais mortuaires au long desquels l'eau soupire. Les cloches, dans le soir, sonnaient chaque fois pour quelque obit du lendemain. Ah! ces cloches �� toutes vol��es, mais si en all��es-- semblait-il--et d��j�� si lointaines de lui, tintant comme en d'autres ciels...
Et le trop-plein des goutti��res avait beau d��gouliner, le tunnel des ponts suinter des larmes froides, les peupliers du bord de l'eau fr��mir comme la plainte d'une fr��le source inconsolable, Hugues n'entendait plus cette douleur des choses; il ne voyait plus la ville rigide et comme emmaillot��e dans les mille bandelettes de ses canaux.
La ville d'autrefois, cette Bruges-la-Morte, dont il semblait aussi le veuf, ne l'effleurait plus qu'�� peine d'un glacis de m��lancolie; et il marchait, consol��, �� travers son silence, comme si Bruges aussi avait surgi de son tombeau et s'offrait telle qu'une ville neuve qui ressemblerait �� l'ancienne.
Et tandis qu'il s'en allait chaque soir retrouver Jane, pas un ��clair de remords; ni, une seule minute, le sentiment du parjure, du grand amour tomb�� dans la parodie, de la douleur quitt��e--pas m��me ce petit frisson qui court dans les moelles de la veuve, la premi��re fois qu'en ses cr��pes et ses cachemires elle agrafe une rose rouge.
VI
Hugues songeait: quel pouvoir ind��finissable que celui de la ressemblance!
Elle correspond aux deux besoins contradictoires de la nature humaine: l'habitude et la nouveaut��. L'habitude qui est la loi, le rythme m��me de l'��tre. Hugues l'avait exp��riment�� avec une acuit�� qui d��cida de sa destin��e sans rem��de. Pour avoir v��cu dix ans aupr��s d'une femme toujours ch��re, il ne pouvait plus se d��saccoutumer d'elle, continuait �� s'occuper de l'absente et �� chercher sa figure sur d'autres visages.
D'autre part, le go?t de la nouveaut�� est non moins instinctif. L'homme se lasse �� poss��der le m��me bien. On ne jouit du bonheur, comme de la sant��, que par contraste. Et l'amour aussi est dans l'intermittence de lui-m��me.
Or la ressemblance est pr��cis��ment ce qui les concilie en nous, leur fait part ��gale, les joint en un point impr��cis. La ressemblance est la ligne d'horizon de l'habitude et de la nouveaut��.
En amour principalement, cette sorte de raffinement op��re: charme d'une femme nouvelle arrivant qui ressemblerait �� l'ancienne!
Hugues en jouissait avec un grandissant d��lice, lui que la solitude et la douleur avaient d��s longtemps sensibilis�� jusqu'�� ces nuances d'ame. N'est-ce pas d'ailleurs par un sentiment inn�� des analogies d��sirables qu'il ��tait venu vivre �� Bruges d��s son veuvage?
Il avait ce qu'on pourrait appeler ?le sens de la ressemblance?, un sens suppl��mentaire, fr��le et souffreteux, qui rattachait par mille liens t��nus les choses entre elles, apparentait les arbres par des fils de la Vierge, cr��ait une t��l��graphie immat��rielle entre son ame et les tours inconsolables.
C'est pour cela qu'il avait choisi Bruges, Bruges d'o�� la mer s'��tait retir��e, comme un grand bonheur aussi.
C'avait ��t�� d��j�� un ph��nom��ne de ressemblance, et parce que sa pens��e serait �� l'unisson avec la plus grande des Villes Grises.
M��lancolie de ce gris des rues de Bruges o�� tous les jours ont l'air de la Toussaint! Ce gris comme fait avec le blanc des coiffes de religieuses et le noir des soutanes de pr��tres, d'un passage incessant ici et contagieux. Myst��re de ce gris, d'un demi-deuil ��ternel!
Car partout les fa?ades, au long des rues, se nuancent �� l'infini: les unes sont d'un badigeon vert pale ou de briques fan��es rejointoy��es de blanc; mais, tout �� c?t��, d'autres sont noires,
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