une maison riante qu'il avait lou��e pour elle au long d'une promenade qui aboutit �� des banlieues de verdures et de moulins.
En m��me temps, il l'avait d��cid��e �� quitter le th��atre. Ainsi il l'aurait toujours �� Bruges et mieux �� lui. Pas une minute, cependant, il n'avait envisag�� le petit ridicule pour un homme grave et de son age, apr��s un si inconsolable deuil notoire, de s'amouracher d'une danseuse. �� vrai dire, il n'avait pas d'amour pour elle. Tout ce qu'il d��sirait, c'��tait pouvoir ��terniser le leurre de ce mirage. Quand il prenait dans ses mains la t��te de Jane, l'approchait de lui, c'��tait pour regarder ses yeux, pour y chercher quelque chose qu'il avait vu dans d'autres: une nuance, un reflet, des perles, une flore dont la racine est dans l'ame-- et qui y flottaient aussi peut-��tre.
D'autres fois, il d��nouait ses cheveux, en inondait ses ��paules, les assortissait mentalement �� un ��cheveau absent, comme s'il fallait les filer ensemble.
Jane ne comprenait rien �� ces allures anormales de Hugues, �� ses muettes contemplations.
Elle se rappelait, au commencement de leurs relations, son inexpliqu��e tristesse quand elle lui avait dit que sa chevelure ��tait teinte; et avec quel ��moi, depuis, il l'��piait pour savoir si elle la maintenait de la m��me nuance.
--?J'ai l'envie de ne plus me teindre?, avait-elle dit un jour.
Il en avait paru tout troubl��, insistant pour qu'elle gardat ses cheveux de cet or clair qu'il aimait tant. Et, en disant cela, il les avait pris, caress��s de la main, y enfon?ant les doigts comme un avare dans son tr��sor qu'il retrouve.
Et il avait balbuti�� des choses confuses: ?Ne change rien... c'est parce que tu es ainsi que je t'aime! Ah! tu ne sais pas, tu ne sauras jamais ce que je manie dans tes cheveux...?
Il semblait vouloir en dire davantage; puis s'arr��tait, comme au bord d'un ab?me de confidences.
Depuis qu'elle s'��tait install��e �� Bruges, il venait la voir presque tous les jours, passait d'ordinaire ses soir��es chez elle, y soupait parfois, malgr�� la mauvaise humeur de Barbe, sa vieille servante qui, le lendemain, maugr��ait d'avoir inutilement pr��par�� le repas et d'avoir attendu. Barbe feignait de croire qu'il avait vraiment mang�� au restaurant; mais, au fond, demeurait incr��dule et ne reconnaissait plus son ma?tre, auparavant si ponctuel, si casanier.
Hugues sortait beaucoup, partageant les heures entre sa maison et celle de Jane.
Il y allait de pr��f��rence vers le soir, par habitude prise de ne sortir qu'aux fins d'apr��s-midi; et puis aussi pour n'��tre pas trop remarqu�� en ses promenades vers cette demeure qu'il avait express��ment choisie dans un quartier solitaire. Lui n'avait ��prouv�� vis-��-vis de lui-m��me aucune honte ni rougeur d'ame, parce qu'il savait le motif, le stratag��me de cette transposition qui ��tait non seulement une excuse, mais l'absolution, la r��habilitation devant la morte et presque devant Dieu. Mais il fallait compter avec la province qui est prude: comment ne pas s'y inqui��ter un peu du voisinage, de l'hostilit�� ou du respect publics lorsqu'on en sent sur soi incessamment les yeux pos��s, l'attouchement pour ainsi dire?
En cette Bruges catholique surtout, o�� les moeurs sont s��v��res! Les hautes tours dans leurs frocs de pierre partout allongent leur ombre. Et il semble que, des innombrables couvents, ��mane un m��pris des roses secr��tes de la chair, une glorification contagieuse de la chastet��. �� tous les coins de rue, dans des armoires de boiserie et de verre, s'��rigent des Vierges en manteaux de velours, parmi des fleurs de papier qui se fanent, tenant en main une banderole avec un texte d��roul��, qui de leur c?t�� proclament: ?Je suis l'Immacul��e.?
Les passions, les accointances des sexes hors mariage y sont toujours l'oeuvre perverse, le chemin de l'enfer, le p��ch�� du sixi��me et du neuvi��me commandement qui fait parler bas dans les confessionnaux et farde de confusion les p��nitentes.
Hugues connaissait cette aust��rit�� de Bruges et avait ��vit�� de l'offusquer. Mais, en cette vie de province tout exigu?, rien n'��chappe. Bient?t il suscita �� son insu une pieuse indignation. Or, la foi scandalis��e s'y exprime volontiers en ironies. Telle la cath��drale rit et nargue le diable avec les masques de ses gargouilles.
Quand la liaison du veuf avec la danseuse se fut ��bruit��e, il devint, sans le savoir, la fable de la ville. Nul n'en ignora: bavardages de porte en porte; propos d'oisivet��; cancans colport��s, accueillis avec une curiosit�� de b��guines; herbe de la m��disance qui, dans les villes mortes, cro?t entre tous les pav��s.
On s'amusa d'autant plus de l'aventure qu'on avait connu son long d��sespoir, ses regrets sans ��claircie, toutes ses pens��es uniquement cueillies et nou��es en bouquet pour une tombe. Aujourd'hui, c'est l�� qu'aboutissait ce deuil qu'on avait pu croire ��ternel.
Tous s'y ��taient tromp��s, le pauvre veuf lui-m��me, qui avait ��t�� sans doute ensorcel�� par une coquine. On la connaissait bien. C'��tait une ancienne danseuse du th��atre. On
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