Bouddha | Page 3

Jules Claretie
Voil�� toute la diff��rence, le public s'en moque! Il se moque de tout, le public!
--Je ne connais pas Galivet, mais j'ai vu Lafertrille jouer Bouddha de la premi��re �� la derni��re. Le tour de Bouddha en quatre-vingt soirs! Et quand c'��tait fini, Bouddha, avec quelle joie j'emportais ?ma mousm��e? �� moi, fouette cocher, au grand galop, vers son petit h?tel de l'avenue Kl��ber!... Le coup�� traversait la place de la Concorde presque d��serte, montait rapidement les Champs-��lys��es, o�� d'autres coup��s duos passaient emport��s aussi, et le temps me paraissait si long, si long, quoique j'eusse pr��s de moi, la t��te sur mon ��paule,--ou moi la serrant de mon bras pass�� sous son manteau,--la jolie blonde que toute une salle lorgnait tout �� l'heure, et qui me fredonnait tr��s bas, pour moi seul, comme un petit murmure caressant, le couplet biss�� par les boulevardiers:
Mon petit Bouddha, Que tu m'as fait de la peine!
Je trouvais la route longue, et, arriv��, je regrettais presque cette sensation d��licieuse d'un t��te-��-t��te au fond d'une voiture avec une cr��ature que tout Paris enviait, et que quelqu'un, �� la lueur du gaz, pouvait presque reconna?tre du fond d'un de ces coup��s qui nous croisaient. C'est ��tonnant ce qu'il y a de grains de vanit�� au fond de l'amour!... Et pourtant, vrai, j'aimais Antonia pour tout de bon.
Elle ��tait folle des japonaiseries. Elle prenait son op��rette au s��rieux. Elle voulait qu'autour d'elle, bibelots et soieries, tout f?t du temps, du temps de Bouddha Ier. Je d��valisais les boutiques de vendeurs de _netzsk��s_ pour peupler de dr?leries ses ��tag��res, et je me rappelle sa joie, sa joie d'enfant lorsque j'arrivai, un soir, pr��c��dant un commissionnaire qui portait sur ses bras, comme une nourrice son nourrisson, un gros Bouddha dor�� que j'avais d��couvert au fond d'un magasin de bric-��-brac, rue des Martyrs! Ah! le beau Bouddha! Presque grandeur nature, mon cher, accroupi, les mains jointes, tout dor��, mais d'un or rouge �� reflets sanglants, d'un ton tout particulier qui rappelait le cuir de Cordoue et les fa?ences mezzo-arabes, un Bouddha au crane rose, et dont la bonne figure paterne, les yeux mi-clos et le sourire b��at, un sourire indulgent et las, illuminait une face luisante avec une paire d'oreilles longues d'ici �� demain!...
Quand elle l'aper?ut tout luisant d'or rouge entre les mains du commissionnaire; quand elle le vit appara?tre sous la porti��re de soie de Chine soulev��e, Antonia salua le Bouddha d'un grand cri d'enfant joyeuse suivi d'un long ��clat de rire:
--Ah! Bouddha! Voil�� Bouddha!... Vive Bouddha!
Et elle frappait dans ses mains, elle me sautait au cou.
--Mon petit Edmond! Oh! comme tu es gentil!... Un Bouddha!... ?a me manquait! Il ne ressemble pas du tout Lafertrille, du tout, du tout!... Il est joliment mieux! O�� le mettrons-nous?... Parbleu, l��, sur la chemin��e.... Je ferai faire une planchette.... Ah! le beau Bouddha!
Puis, avec des airs respectueux, elle s'avan?ait vers le Bouddha que nous avions pos�� sur la table, et, prenant les poses de la petite mousm��e:
Ah! Bouddha, Cher Bouddha, Doux Bouddha!
Elle chantait de sa voix de th��atre, s'interrompant tout �� coup parce que je riais, pour me dire:
--Au fait, tu sais, Edmond, c'est peut-��tre le vrai Dieu!
Elle vida son porte-monnaie dans les mains du commissionnaire, et nous d?names, ce soir-l��, en tiers avec ce brave Bouddha dor��, pos�� sur la table et qui nous contemplait de son air calme, gravement. Au dessert, Antonia voulut lui faire boire du champagne. Bouddha conserva sa dignit�� et nous allames aux Nouveaut��s en riant beaucoup de notre invit�� en or rouge. Jamais Antonia ne chanta mieux que ce soir-l��, les couplets de la _Petite Mousm��e_.
[Illustration 03.png]

[Illustration 04.png]
II
Et d��s lors, Bouddha, mon Bouddha de la rue des Martyrs, devint le dieu de cette jolie bonbonni��re de l'avenue Kl��ber, que ma petite bouddhiste voulait rendre japonaise du rez-de-chauss��e au grenier. Antichambre japonaise avec deux vieux griffons de bronze �� l'entr��e, salle �� manger japonaise tendue de rouleaux peints par un d��corateur du Mikado, chambre japonaise, salle de bain japonaise... Tout au Japon! Et dans ce d��licieux paradis japonais, une d��esse bien vivante emplissant tout l'h?tel,--prononce a u, au, autel, si tu veux,--de son rire, de son parfum de femme, de sa jeunesse et de sa gaiet��,--et un dieu silencieux et indulgent b��nissant nos amours sans rien dire!
Ah! le bon Bouddha, le doux Bouddha, comme disait la chanson!... Il tr?nait au milieu du salon, sur la chemin��e, comme dans une pagode. On avait drap�� son socle, encadr�� la glace, et Bouddha rayonnait l��, rouge et or, comme un soleil d'automne. Je le saluais avec amiti��. J'en ��tais arriv�� �� le consid��rer comme un h?te du logis, un habitu��, un vieux parent. Antonia lui donnait de petits tapes calines sur ses joues cuivr��es. Bouddha veillait sur nous, toujours digne.
Un soir... ah! le diable soit des femmes, m��me les meilleures!...
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