de Vadé, r?le travesti, costume de Grévin!
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IV
Je ne te raconterai pas mes impressions du Tonkin. Ah! nous en avons vu! Il y a eu, là-bas, mon cher, jour par jour, des héro?smes et des faits d'armes qui donnent de l'espoir au coeur. Et tout ?a si loin, sans nouvelles, sous la pluie, dans la boue, avec la fièvre, le choléra, les rhumatismes, tout le tonnerre de chien de l'h?pital! La bataille, ce n'est rien; on se sent vivre quand on se moque de mourir. Mais la maladie bête, la dysenterie qui vous tord les entrailles, l'anémie qui vous mine, l'eau putride plus meurtrière que le canon... et la boue, mon cher, la boue, les défilés dans les rizières, les ciels bas et gris, la terre où l'on enfonce comme dans du beurre et qui vous retient comme un sable mouvant... Et, avec cela, étape sur étape, marches et contremarches, des pièces d'artillerie embourbées et portées à dos d'homme par des chemins étroits comme des rubans... Puis, quelquefois, des forêts à traverser, sans éclaireurs et sans cartes, des sentiers se tracer à travers bois, à coups de hache... Je te passe tout ?a; c'est ennuyeux à subir, ces journées et ces nuits d'alerte et de fatigue, mais c'est amusant à évoquer... J'ai souvent regretté ce mauvais temps, en fumant mon cigare! Atroce, la guerre, mais quelle gymnastique morale! Toutes les facultés de l'homme en éveil, et les meilleures: le courage, le dévouement, la décision, l'amour du prochain et l'amour du drapeau!
Pour en revenir à Bouddha, je l'avais depuis longtemps oublié, le Bouddha d'Antonia Boulard, et je me réservais --comme je l'avais dit--d'en déterrer un, au moment du retour, chez quelque brocanteur d'Hano?... J'en avais tant vu, de mes camarades, qui faisaient provision de bibelots par avance, et qu'une balle couchait en chemin! On expédiait dans quelque caisse, à la famille, leur pantalon rouge, leur portefeuille et les rouleaux de papier de Chine achetés ?à et là, et achats et défroque, tout partait, roulé en un paquet, pour France. L'idée de me fournir par avance d'un Bouddha que je pourrais abandonner en route avec ma carcasse ne me souriait pas beaucoup... Oui, au retour, je m'en occuperais, au retour!
Et, en attendant le retour, nous nous enfoncions chaque jour plus avant du c?té de la frontière de Chine, allant vers Lang-Son, qu'il fallait emporter et que nous aurions occupé depuis des mois sans le guet-apens que tu connais... Lang-Son enlevé, nous pouvions nous y croire en grande halte, lorsque, au milieu de février, le général re?oit de Tuyen-Quan des nouvelles dures... Les Chinois tenaient là-bas, comme à la gorge, la petite garnison du commandant Dominé, et, pied à pied, attaquaient la citadelle... Toute une armée, comme tu sais, celle du Yun-Nam, autour d'une poignée d'hommes! Impossible de laisser écraser la garnison qui se défend, là-bas, depuis décembre! De décembre à mars, compte les jours d'héro?sme, mon cher!
Brière de l'Isle laisse donc Négrier Lang-Son, et, le 15 février, sans pouvoir prendre un repos cranement gagné, en route pour Tuyen-Quan, toute la brigade Giovaninelli! Infanterie de marine, artilleurs, tirailleurs tonkinois et deux bataillons de mes bons turcos. Nous étions éreintés! oh! éreintés! Mais on avait dit la veille au soldat: ?Il faut un effort pour prendre Lang-Son?. Le soldat avait fait un effort. On lui disait, le lendemain: ?Il faut un effort pour débloquer Tuyen-Quan?. Le soldat faisait un effort. Et gaiement.
Pauvres enfants, ces soldats, troupeau de moutons héro?ques allant à la boucherie comme à une promenade! Et quelle promenade! Par la route mandarine, un brouillard à couper au couteau; presque du verglas pour avancer; partout des arroyos... En quatre heures de marche, on traverse l'eau sept fois... La nuit vient... il pleut... on attend le jour en grelottant... A l'aurore,--brr! quelle aurore!--Bono, disent les turcos, et en route!
En avant, les fantassins nous taillent des escaliers dans les pentes raides... On nous dit qu'il y a des tigres, ?à et là, dans les montagnes de marbre... Tant mieux! Voir des tigres, ?a nous distrairait!... Et nous marchons, nous marchons, nous marchons... Il nous semble entendre dans le lointain les cris d'appel de la petite garnison qui se défend avec la brèche ouverte et qu'on égorge. Et quand la fatigue se fait sentir chez nos hommes, un mot, comme un coup d'éperon, les ranime:
--Vous savez, les camarades nous attendent!
Et ces pauvres diables de turcos, donnant leur peau pour les Fran?ais, que leurs pères ont combattus, disent alors avec un entrain touchant, montrant en riant leurs dents blanches:
--Oui, oui, camarades! Camarades! Là-bas! En avant!
Et on marche.
Comme c'est dr?le, la bêtise humaine! Une nuit, tous ces malheureux, harassés, n'en pouvaient plus et se tra?naient, l'emplacement du bivouac étant loin encore... Pas un mot... Rien... Les hanhans avachis des soldats, alourdis comme des bêtes de somme... le
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