prenait si souvent pour du d��sespoir, s'en m��lant, au lieu d'aller �� Bois-le-Duc, il partit pour l'Angleterre avec trois chemises, quelques bas, une paire de pantoufles en guise de souliers et trente et un louis en poche.
Il arrive �� Douvres, et le voil�� courant �� pied le pays, couchant dans les auberges de villages et quelquefois dans une simple cabane, se faisant en imagination un po?me d'aventure et de mis��re comme Jean-Jacques Rousseau et Goldsmith. Mais tout est factice dans Benjamin Constant. Il sait bien qu'�� Londres il a des amis riches et puissants; qu'une lettre, un avis, un mot, et sa bourse est remplie. Comme un curieux au sommet d'une tour bord��e d'un solide garde-fou, il regarde en riant l'ab?me et se donne le plaisir d'avoir peur.
?Ah! que je vais ��tre heureux cet automne, s'��crie-t-il, avec du linge blanc, une voiture et un habit sec et propre!?
�� travers ses p��r��grinations il entretient sa confidente de mille projets fantastiques, de r��ves d'agriculture en Am��rique, etc., etc. Une lettre du p��re qui promet son pardon �� la condition qu'on reviendra au logis, et qu'on acceptera un emploi de chambellan �� la Cour du duc de Brunswick.
Le 3 octobre, �� huit heures du soir, M. Benjamin Constant, qui venait de traverser �� pied le canton de Vaud, arrivait �� Colombiers et frappait �� la porte de Mme de Charri��re. Il partit le lendemain pour Lausanne. Mais, peu de jours apr��s, il revint aupr��s de son amie et passa deux mois �� se refaire de ses fatigues, moiti�� malade, moiti�� bien portant, dans une douce convalescence, dans de longues causeries, dans ce milieu de petits soins qu'une femme amoureuse et sur son dernier d��clin sait si bien prodiguer au jeune homme dont elle d��sire se faire aimer.
L'amour vint en effet, amour maladif, bizarre, et portant en soi-m��me, par la disproportion d'age de l'amant et de la ma?tresse, un prompt germe de mort.
Mme de Charri��re n'en laissa pas moins une impression durable chez M. Benjamin Constant. Car, pendant huit ann��es, il continua de lui ��crire �� intervalles irr��guliers il est vrai.
Mais d��s son arriv��e �� la Cour de Brunswick, il est ais�� de voir au ton de cette correspondance que Mme de Charri��re est d��j�� revenue �� son modeste r?le de confidente, et qu'elle en accepte avec r��signation les muettes douleurs.
D'abord ce sont des railleries sur la Cour du duc de Brunswick, sur ses bals: ?Vous ne tanze pas, monsieur le baron??--?Non, Madame.?--?Der herr kammerjunker danzen nicht.?--Nein, Eure Excellenz.?--?Votre Altesse S��r��nissime aime beaucoup la danse.?--Votre Altesse S��r��nissime dansera-t-elle encore??--?Votre Altesse S��r��nissime est infatigable.?
Mais voici qu'une blonde Wilhelmine console Benjamin Constant de la stupidit�� de la noblesse brunswickoise et hambourgeoise. �� qui fait-il part de cette consolation? �� Mme de Charri��re. Il se marie. �� qui confie-t-il ses joies conjugales? �� Mme de Charri��re.
Bient?t il s'aper?oit que sa Wilhelmine aime un Brunswickois quelconque. Benjamin Constant a de l'esprit, il s'en fait une arme. Mais Wilhelmine a du caract��re. Un divorce d��noue cette situation. Mais tout en divor?ant Benjamin Constant soupire. Il l'aime, sans doute? Lui, aimer, non pas; cela ne d��pend pas de lui, et il n'en est pas capable. Mais il a besoin d'��motion; n'en pouvant trouver de vraies, il s'en cr��e de fausses. Trop d'imagination unie �� une grande s��cheresse de coeur et �� un irr��m��diable fonds de l��g��ret�� et de scepticisme expliquent cette agitation dans le vide. Peu d'hommes ont mis autant d'art �� se rendre malheureux sans pouvoir m��me se bien convaincre de ce malheur.
Il est tr��s-singulier qu'�� travers cette existence de gentilhomme; d'amoureux �� la Werther et de joueur, car il contracta de bonne heure cette fatale passion, M. Benjamin Constant ait con?u l'id��e d'��crire un livre sur les religions. Il y a des sujets end��miques comme certaines maladies. La fin du dix-huiti��me si��cle s'occupa beaucoup de polythe?sme. C'��tait encore une fa?on de pr��ter des armes �� la philosophie contre l'��glise.
C'est �� dix-neuf ans que lui vint la premi��re pens��e d'��crire ce livre. Et, selon son propre aveu, il n'avait alors aucune des connaissances n��cessaires pour ��crire quatre lignes raisonnables sur un pareil sujet. Tout en faisant sa cour �� Mme de Charri��re, il griffonnait des lieux communs sur des cartes �� jouer et assemblait des faits. �� la fin de sa vie, il en r��unit vingt ou trente mille, qu'il pouvait faire manoeuvrer dans un sens ou dans un autre ?comme des soldats,? disait-il. Ce qui faisait plus d'honneur �� son esprit qu'�� ses convictions.
M. Benjamin Constant s'��tait mari�� en 1789: en 1793, le divorce ��tait consomm��. ?Hymen! Hymen! Hymen! quel monstre!? s'��criait-il six jours avant la d��cision.
D��test�� de l'aristocratie de Brunswick, supportant impatiemment ses fonctions de gentilhomme ordinaire (il disait: ?gentilhomme fort extraordinaire?), son divorce ne put lui rendre que plus odieux un pareil s��jour.
Il se sentit atteint
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