Belle-Rose | Page 7

Amédée Achard
mamzelle Suzanne, parce que tu l'aimes.
Jacques rougit jusqu'à la racine des cheveux; il se dressa d'un bond; un trouble nouveau remplissait son ame, et mille sensations confuses l'animaient. L'éclair avait lui dans sa pensée, il saisit Claudine par le bras.
--Mon Dieu! qu'as-tu donc? s'écria Claudine, effrayée du brusque changement qui s'était opéré dans les traits de son frère.
--écoute-moi, ma soeur; tu n'es qu'une petite fille...
--J'aurai quinze ans, viennent les abricots, dit l'enfant.
--Mais, continua Jacques, on dit que les petites filles s'entendent mieux à ces choses-là que les grands gar?ons. Pourquoi m'as-tu dit que j'aimais mamzelle Suzanne? ?a se peut, mais je n'en sais rien.
--Dame! on voit ?a du premier coup d'oeil. Dire comment, je ne le pourrais guère; mais je l'ai compris à plusieurs choses que je ne puis pas t'expliquer, parce que je ne sais par quel bout les prendre. D'abord, tu ne lui parles pas comme aux autres filles que tu connais; et puis tu as les yeux doux comme du miel quand tu la regardes; tu fais de grands tours pour l'éviter, et cependant tu la rencontres toujours, ou bien tu la cherches partout, et quand tu la trouves, tu t'arrêtes tout court, et l'on dirait que tu as envie de te cacher. Enfin, je ne sais ni pourquoi ni comment, mais tu l'aimes.
--C'est vrai, murmura Jacques en lachant le bras de sa soeur, c'est vrai, je l'aime.
Sa voix, en pronon?ant ces mots, si doux au coeur, avait quelque chose de grave et de triste qui émut Claudine.
--Eh bien, dit-elle en passant ses jolis bras autour du cou de son frère, ne vas-tu pas t'affliger maintenant? Est-ce donc une chose si pénible d'aimer les gens, qu'il faille prendre cet air malheureux? Voilà que tu me fais pleurer, à présent.
La pauvre Claudine essuya le coin de ses yeux avec son tablier, puis, souriant avec la mobilité de l'enfance, elle se haussa sur la pointe du pied, et, approchant sa bouche de l'oreille de Jacques, elle reprit:
--Bah! à ta place, moi je me réjouirais. Suzanne n'est pas ta soeur! je suis s?re qu'elle t'aime autant que tu l'aimes: tu l'épouseras.
Jacques embrassa Claudine sur les deux joues.
--Tu es une bonne soeur, lui dit-il; va, maintenant, je sais ce que l'honnêteté me commande.
Et Jacques, se dégageant de l'étreinte de sa soeur, sortit du jardin. Il se rendait tout droit au chateau, lorsqu'au détour d'une haie il rencontra M. de Malzonvilliers.
--Je vous cherchais, monsieur, lui dit-il en le saluant.
--Moi? Et qu'as-tu à me dire, mon gar?on?
--J'ai à vous parler d'une affaire très importante.
--En vérité? Eh bien, parle, je t'écoute.
--Monsieur, j'ai aujourd'hui dix-huit ans et quelques mois, reprit Jacques de l'air grave d'un ambassadeur; je suis un honnête gar?on qui ai de bons bras et un peu d'instruction; j'aurai un jour deux ou trois mille livres d'un oncle qui est curé en Picardie; car pour le bien qui peut me revenir du c?té de mon père, je suis décidé à le laisser à ma soeur Claudine. En cet état, je viens vous demander si vous voulez bien me donner votre fille en mariage.
--En mariage, à toi! Qu'est-ce que tu me dis donc? s'écria M. de Malzonvilliers tout étourdi.
--Je dis, monsieur, que j'aime Mlle Suzanne; le respect que je vous dois et mon devoir ne me permettent pas de l'en informer avant de vous avoir parlé de mes sentiments. C'est pourquoi je viens vous prier de m'agréer pour votre gendre.
Pendant ce discours, Jacques, le chapeau à la main, un mouchoir roulé autour du cou et en sarrau de toile grise, était debout au beau milieu du sentier.
--Je n'ai pas besoin de vous dire, ajouta-t-il, que votre consentement me rendra parfaitement heureux, et que je n'aurai plus d'autre désir que de reconna?tre toutes vos bontés par ma conduite et mon dévouement.
Tout à coup M. de Malzonvilliers partit d'un grand éclat de rire. L'étrangeté de la proposition et le sang-froid avec lequel elle était faite l'avaient d'abord étourdi; mais au nouveau discours de Jacques, il ne put s'empêcher de rire au nez du pauvre gar?on. Tout le sang de Jacques lui monta au visage. Malgré les illusions dont se berce la jeunesse, son bon sens natif lui disait tout bas que sa demande ne serait point accueillie, mais sa candide honnêteté ne lui permettait pas de croire qu'elle p?t donner matière à plaisanter.
--Ma proposition vous a mis en gaieté, monsieur, reprit-il avec une émotion mal contenue. Je ne m'attendais pas, je l'avoue, à l'honneur de vous causer tant de joie.
--Eh! mon ami, je ne m'attendais pas non plus à une telle aventure! Vit-on jamais chose pareille? C'est plus amusant qu'une comédie de M. Corneille, parole d'honneur!
Jacques déchira les bords de son chapeau avec ses doigts, mais il se tut. M. de Malzonvilliers riait toujours. Enfin, n'y tenant plus, il s'assit sur un quartier de pierre au
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 203
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.