le cachet, et s'approchant de la fenêtre, il lut rapidement à la clarté d'une lampe.
--C'est bien, mon enfant. Si quelque jour nous nous rencontrons, moi vieillard, toi homme, dans quelque situation que nous nous trouvions l'un et l'autre, tu pourras en appeler à l'h?te de Guillaume Grinedal; il se souviendra.
Au point du jour, l'étranger sauta sur la selle de Phoebus, qui avait oublié, entre une litière fra?che et deux boisseaux d'avoine, les fatigues de la soirée. L'étranger portait un costume de paysan de l'Artois.
--Adieu, Guillaume, dit-il au fauconnier en lui tendant la main; je ne vous offre rien: votre hospitalité est de celles qui ne se payent pas, et je craindrais de vous offenser en vous donnant de l'or. Prenez ma main, et serrez-la sans crainte. Sous quelque habit que je me cache, c'est, je vous le jure, la main d'un loyal gentilhomme. Quant à toi, mon ami Jacques, conserve ce coeur honnête et ce courage déterminé, et la fortune te viendra en aide: si Dieu me prête vie, je le prierai pour qu'il me fournisse l'occasion de te secourir comme tu m'as secouru.
Les grands yeux noirs de Jacques regardaient l'étranger tout brillants d'une joie fière. Avec son épaule difforme et sa poitrine contrefaite, le faux marchand d'Arras lui semblait plus noble et plus imposant que tous les officiers du roi qu'il avait encore vus. Quand il lui prit la main, le coeur de Jacques battit à coups rapides, et lorsque, pressant les flancs de Phoebus, l'inconnu s'éloigna au galop, longtemps le père et le fils le suivirent du regard, émus et silencieux. Au moment où ils rentraient au jardin, le pied de Jacques fit rouler un objet brillant tombé sur le sable. C'était un médaillon en or guilloché.
--Voyez, mon père, dit l'enfant; l'étranger l'aura sans doute perdu.
--Garde-le, mon fils; c'est peut-être la Providence qui te l'envoie.
II
LES PREMIèRES LARMES
Le souvenir de cette aventure resta dans la mémoire de Jacques. Le temps put en affaiblir les détails, mais l'ensemble demeura comme un point lumineux au fond de son coeur. Depuis le jour, de sa rencontre avec l'étranger, il prit un go?t plus vif aux choses de la guerre. Lorsqu'un escadron passait sur la route, bannière au vent et trompette en tête, il courait à sa suite aussi loin que ses jambes le pouvaient porter et fredonnait les fanfares pendant toute une semaine. Parfois aussi il lui arrivait d'enrégimenter les enfants du faubourg et de se livrer avec eux à un grand simulacre de bataille ou à quelque imitation de siège, qui finissait toujours par de furieuses mêlées où ses bras faisaient merveille; tout enfant qu'il était, il se montrait déjà d'une adresse surprenante dans le maniement des armes, épée, sabre, hache, pique, dague, pistolet ou mousqueton. Les mots du marchand d'Arras: _Si jamais tu t'enr?les, tu feras ton chemin_, bourdonnaient toujours à ses oreilles; mais nous devons ajouter qu'il n'y avait pas d'exercice, de revue, de combat et d'assaut que Jacques n'abandonnat volontiers pour suivre Mlle de Malzonvilliers, quand elle allait avec Claudine chercher des fraises dans les bois. Dans ces occasions, qui se renouvelaient tous les jours, le petit général soupirait de tout son coeur et demeurait tout interdit lorsque la main de Suzanne rencontrait sa main. La petite fille le faisait aller et venir à son gré, mais avec tant de grace naturelle et d'un air si charmant, que Jacques serait parti pour le bout du monde sans délibérer, sur un signe de ses yeux bleus.
Les années se passaient donc entre les études, les batailles et les promenades. On était en ce temps-là au milieu des troubles et des guerres, on n'entendait parler que de villes attaquées, de camps surpris, d'expéditions meurtrières. Le cardinal Mazarin et le parti du roi luttaient contre le parlement, les princes et l'Espagnol. M. de Condé tenait la campagne, tant?t vainqueur, tant?t vaincu; mais jusqu'alors la ville de Saint-Omer, protégée par une bonne garnison, n'avait pas eu à souffrir des déprédations de l'ennemi. Jacques serait parti depuis longtemps, s'il n'avait été retenu par le charme qu'il éprouvait à vivre auprès de Mlle de Malzonvilliers. Ce sentiment était d'autant plus impérieux, qu'il ne s'en rendait pas compte. Le hasard, ce grand architecte de l'avenir, lui fit lire dans son propre coeur. Un jour qu'il était assis dans un coin du jardin, la tête penchée, et roulant une dague entre ses doigts, sa soeur Claudine vint tout doucement lui frapper sur l'épaule. Jacques tressaillit.
--A quoi penses-tu? dit l'espiègle.
--Je n'en sais rien.
--Veux-tu que je te le dise, moi? Tu penses à mamzelle Suzanne.
--Pourquoi à elle plut?t qu'à une autre? s'écria Jacques un peu confus.
--Parce que Suzanne est Suzanne.
--Belle raison!
--Très bonne, reprit l'enfant dont un malin sourire entr'ouvrit les lèvres vermeilles. Oh! je me comprends!
--Alors, explique-toi.
--Tiens, Jacques, ajouta Claudine en prenant un grand air sérieux, tu penses à
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.