Belle-Rose | Page 4

Amédée Achard
la droite, du c?té d'Aire.
--C'est là que tu vas te rendre; maintenant retiens bien ceci: avant d'entrer à Witternesse, tu verras sur la gauche une ferme au bout d'un champ de seigle. Il y a quatre fenêtres avec une girouette en queue d'aronde sur le toit. Tu frapperas trois coups à la porte; au troisième coup, tu prononceras à haute voix le nom de Bergame; un homme sortira et tu lui remettras ce papier...
En achevant ces mots, l'inconnu tira de sa poche un petit portefeuille, prit un crayon et se mit en devoir d'écrire.
--Sais-tu lire? demanda-t-il brusquement à Jacques.
--Oui, monsieur, très bien.
L'étranger fron?a le sourcil; mais ce mouvement fut si rapide que Jacques n'eut pas le temps de s'en apercevoir. Un instant l'étranger tourna le crayon entre ses doigts; puis, prenant une résolution subite, il écrivit rapidement quelques mots, déchira le feuillet, et le présentant à Jacques, attacha sur l'enfant un regard profond. Jacques examina le papier.
--Je lis, mais je ne comprends pas, dit-il.
L'étranger sourit.
--Il n'est pas nécessaire que tu comprennes, reprit-il; mets le papier dans ta poche et saute à cheval... Bien!... Parbleu, mon gar?on, tu te tiens gaillardement!... si tu t'y prends de cette fa?on, tu ne serviras pas de fascine à quelque fossé... Cependant, aie toujours les yeux sur les oreilles de l'animal... il est fantasque; mais quand il est en humeur de faire un écart, il a l'honnêteté d'en prévenir son cavalier par un certain mouvement d'oreille, dont les reins de beaucoup de gens ont gardé le souvenir... Ah! tu ris! tu verras, mon gar?on!
Comme Jacques lachait la bride au cheval, l'étranger le retint.
--Un mot encore. Connais-tu dans les environs une maison de braves gens où je puisse attendre ton retour sans craindre les indiscrets?
--J'en connais dix, mais il y en a une surtout qui fera votre affaire. Sortez du bois, suivez le sentier où je vous ai rencontré, prenez la grande route et arrêtez-vous devant la première maison que vous trouverez sur votre droite. Vous la reconna?trez facilement. Tout est ouvert, portes et fenêtres. Vous serez chez mon père, Guillaume Grinedal, comme chez vous.
--Diable! mais j'y serai très bien, dit l'étranger avec un sourire. Va maintenant.
Il retira sa main qui serrait la gourmette, et le cheval partit. Un quart d'heure après, l'étranger entrait dans le jardin de Guillaume Grinedal. A la vue d'un étranger, le fauconnier quitta un long pistolet d'ar?on qu'il fourbissait et se leva.
--Que demandez-vous? lui dit-il.
--L'hospitalité.
--Entrez. Ce que j'ai est à vous. Si vous avez faim, vous mangerez; si vous avez soif, vous boirez; et pour si pauvre que je sois, j'ai toujours un lit pour le voyageur que Dieu conduit.
En parlant ainsi, le père Guillaume avait découvert son front; ses traits honnêtes, ridés par le travail, gardaient une expression de dignité qui le faisait para?tre au-dessus de sa condition.
--Je vous remercie, dit l'étranger; ma visite sera courte. Quand votre fils sera revenu, je partirai.
Guillaume l'interrogea du regard.
--Oh! reprit son h?te, il ne court aucun danger. Avant que la lune se soit levée, il sera de retour. Je suis un marchand d'Arras qui vais, pour les affaires de mon commerce, à Lille; le pays est mauvais, et j'ai pensé que votre fils pourrait, plus s?rement que moi, se charger d'une valise laissée aux mains de mon valet à Witternesse. On ne saurait trop prendre de précautions dans les temps où nous vivons.
Tandis que l'étranger parlait, Pierre, Claudine et quelques enfants, d'abord épars dans le jardin, s'étaient doucement rangés autour de lui, avec cette avide et farouche curiosité qui cherche mille détours pour se satisfaire et s'étonne de tout ce qu'elle voit. Guillaume les écarta du geste et pria l'étranger de le suivre, à quoi celui-ci se soumit sans délibérer.
--Vous avez raison, reprit le fauconnier quand ils furent parvenus dans la salle basse de la maisonnette, nous vivons dans un temps où il faut s'entourer de précautions. Mais dans la maison d'un honnête homme il n'en est pas besoin; ainsi, mon gentilhomme, ne vous gênez point pour déguiser votre langage et vos manières.
A ces mots, l'étranger tressaillit.
--Je ne vous demande pas votre qualité et votre nom, reprit le fauconnier. L'h?te est sacré; son secret est comme sa personne; mais il ne faut point parler devant les enfants; les enfants ont le sens droit, ils comprennent et devinent; sit?t qu'on ouvre la bouche ils écoutent. Se taire est donc prudent. Moi, j'ai des cheveux gris, je n'ai rien vu, rien entendu, rien compris.
--Vous êtes un brave homme! s'écria impétueusement l'étranger. Mordieu! je n'ai que faire de dissimuler avec vous. Vous ne vous êtes pas trompé, ma?tre Guillaume, je suis...
--Plus peut-être que je ne suppose, se hata d'ajouter le fauconnier, et c'est pourquoi je prends la liberté de vous interrompre, afin de n'en pas savoir davantage. Que vous soyez Espagnol ou Fran?ais, vous n'en êtes
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