je ne
pensais pas que cela offusquât[12] mademoiselle.
LÉONIE. Offusquât ... un subjonctif à présent....
LA COMTESSE, à Charles, qui veut s'excuser. Pas un mot de plus!...
vous parlez trop.... Je connais vos bonnes qualités, votre dévouement
pour moi ... mais vous oubliez trop souvent votre situation; ne me
forcez pas à vous la rappeler. Votre place, d'ailleurs, n'est pas ici!... je
vous ai pris uniquement pour soigner les jeunes chevaux de mon frère ...
allez à votre service.... (Charles la salue respectueusement, lui remet
les deux lettres qui sont à son adresse et sort par la porte du fond.)
SCÈNE III
LÉONIE, LA COMTESSE.
LA COMTESSE, tout en décachetant ses lettres. Jusqu'à monsieur
Charles, jusqu'aux domestiques qui veulent se donner de
l'importance![13] ...
LÉONIE. Oh! mais ... une importance dont vous n'avez pas d'idée....
LA COMTESSE, ouvrant une des lettres. En vérité ... dis-moi donc
cela.... (Vivement.) Non, non ... tout à l'heure![14] ... laisse-moi d'abord
parcourir mon courrier.[15]
LÉONIE. C'est trop juste! je viens de lire le mien.... (La comtesse, à
droite du spectateur, lit avec émotion et à part sa lettre qu'elle vient de
décacheter, tandis que Léonie, près de la table à gauche, parcourt les
journaux.)
LA COMTESSE. C'est d'elle!... Pauvre amie!... comme elle tremblait
en écrivant! "Ma chère Cécile, soyez bénie mille fois! Je reprends
espoir depuis que je sais mon fils auprès de vous. Votre château, situé à
deux lieues de la frontière, lui permet d'attendre sans danger l'issue de
ce procès fatal ... et d'ailleurs, qui pourrait soupçonner que le château
de la comtesse d'Autreval recèle un homme accusé de conspiration
contre le roi? Du reste, que vos opinions politiques se rassurent...."
(S'interrompant.) Est-ce que mon coeur a des opinions politiques?...
(Reprenant.) "Henri n'est pas coupable; un malheureux coup de tête[16]
qu'il vous racontera lui a seul donné une apparence de conspirateur;
mais cette apparence suffirait mille fois pour le perdre, s'il était pris.
D'un autre côté, l'on assure qu'on ne veut pas pousser plus loin les
rigueurs, et l'on dit, mais est-ce vrai? que le maréchal commandant la
division vient de partir pour Lyon avec une mission de clémence...."
LÉONIE, à droite, poussant un cri. Ah! qu'est-ce que je lis!
LA COMTESSE. Qu'est-ce donc?
LÉONIE, montrant le journal. Encore une condamnation à mort!
LA COMTESSE. Ah! Mon dieu![17]
LÉONIE. "Le conseil de guerre, séant à Lyon, a condamné hier le
principal chef du complot bonapartiste, monsieur Henri de Flavigneul,
un jeune homme de vingt-cinq ans!"
LA COMTESSE. Qui heureusement s'est évadé avec l'aide de quelques
amis, m'a-t-on dit.
LÉONIE. Oui! oui!... je me rappelle maintenant ... cette évasion qui
excitait l'enthousiasme de monsieur Gustave de Grignon.
LA COMTESSE. Notre jeune maître des requêtes.
LÉONIE. Il n'avait qu'un regret, c'est de n'avoir pas été chargé d'une
pareille expédition; c'est beau!... c'est brave!...
LA COMTESSE. Il a de qui tenir![18] Sa mère, qui avait comme moi
traversé toutes les guerres de la Vendée,[19] sa mère avait un courage
de lion!
LÉONIE. C'est pour cela que monsieur de Grignon parle toujours, à
table, d'actions héroïques.
LA COMTESSE. Et le curieux, c'est que son père était, dit-on, peureux
comme un lièvre!
LÉONIE. Vraiment?... c'est peut-être pour cela que l'autre jour il est
devenu tout pâle quand la barque a manqué chavirer[20] sur la pièce
d'eau!
LA COMTESSE, riant. A merveille!... vous allez voir qu'il est à la fois
brave et poltron!
LÉONIE. Je le lui demanderai.
LA COMTESSE. Y penses-tu?
LÉONIE. Aujourd'hui, en dansant avec lui, car nous avons un bal et un
concert pour votre fête[21] ... et j'ai déjà pensé à votre coiffure, un
azaléa superbe que j'ai vu dans la serre et qui vous ira[22] à merveille!
LA COMTESSE. Coquette pour ton compte ... je le concevrais! mais
pour ta tante!...
LÉONIE. C'est tout naturel!... vous c'est moi! tellement que quand on
fait votre éloge, ce qui arrive souvent, je suis tentée de remercier.... (Se
mettant à genoux près du canapé à droite où est assise la comtesse.)
Aussi jugez de ma joie, quand ma mère m'a permis de venir passer un
mois ici, auprès de vous.... Il me semblait que rien qu'en vous regardant,
j'allais devenir parfaite.... Vous souriez ... est-ce que j'ai mal parlé?...
LA COMTESSE. Non, chère fille, car c'est ton coeur qui parle.... Si je
souris, c'est de tes illusions! c'est de ta candeur à me dire: Je vous
admire!
LÉONIE. C'est si vrai! A la maison l'on me raille parfois et l'on répète
sans cesse: Oh! quand Léonie a dit.... Ma tante, elle a tout dit! On a
raison ... la mode que vous adoptez, la robe que je vous[23] vois, me
semblent toujours plus belles qu'aucune autre.... On dit même, vous ne
savez pas, ma tante? on dit que j'imite votre démarche et vos gestes ...
c'est bien sans
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.