Bas les coeurs! | Page 8

Georges Darien
que vous me dites ne m'intéresse pas. ?a me laisse froid.? Il veut dire: ?Je le savais avant vous; seulement je veux faire comme si je ne le savais pas.?
Il y a une chose qu'il ne sait pas, pourtant. C'est que j'ai beaucoup de sympathie pour lui. Il ne le sait pas, car il serait plus ouvert, il aurait plus de confiance en moi s'il s'en doutait et nous pourrions causer sérieusement--comme deux hommes.--Il faudra que je lui apprenne ?a, et--le plus t?t possible.
Tiens! le voilà qui sort de la maison et qui descend au jardin. Il est plus pale que d'habitude; il a toujours son bandeau blanc autour de la tête. Je vais lui demander des nouvelles de sa santé et tacher de le faire causer. Il peut se fier à moi et me raconter tout ce qu'il voudra. Je ne dirai rien, à la maison.
--Vous allez souvent à Paris, maintenant, monsieur Merlin?
--Mais oui.
--Papa m'a dit qu'il y a quelque temps, vous y avez été pour l'enterrement de Victor Noir.
--Ah!
--Est-ce que c'était un bel enterrement?
--Un enterrement comme tous les autres: beaucoup moins de morts que de vivants.
--Ah!... Et la dernière fois, vous y êtes resté trois jours?
Pas de réponse.
--Est-ce que c'est à Paris que vous vous êtes fait mal à la tête?
Le père Merlin m'a pris aux épaules, m'a fait tourner comme un toton et m'a mis bien en face de lui.
--écoute, petit. Je n'aime pas les espions. Si tu as envie de faire ce sale métier, il ne faut pas venir chez moi. Il faut aller ailleurs. Ou plut?t, il vaut mieux rester chez ceux qui t'envoient. Tu as compris? Je ne te répéterai pas ?a deux fois.
Et il est allé s'asseoir sous le berceau, devant une table où sont déposés ses journaux.
***
Ah! c'est comme ?a?... Ah! tu doutes de moi?... Ah! tu n'as pas confiance en moi?... Tu me traites d'espion?... Eh bien! tu peux parler mon bonhomme! Tu peux parler, et tu verras si l'on te re?oit encore chez nous... tu peux parler!
Je dirai tout!
Mais le vieux est en train de lire un journal et n'a pas l'air de vouloir desserrer les dents... Si, il vient de déposer son journal pour bourrer sa pipe et il a murmuré:
--Nous allons voir combien de temps ces cochons-là vont encore nous épousseter avec leurs panaches.
J'ai entendu. C'est tout ce qu'il me faut.
--Monsieur Merlin, je m'en vais.
--Si tu veux.
--Ah! te voilà, s'écrie Louise qui vient m'ouvrir. Ce n'est pas malheureux, j'ai cru que tu y coucherais. Eh bien?
Je lache la phrase que je viens d'entendre. Je n'ai pas eu le temps d'en oublier une syllabe.
--Eh bien! il a dit: ?Nous allons voir combien de temps ces cochons-là vont encore nous épousseter avec leurs panaches.?
--Tonnerre de Brest! s'écrie M. Pion... Pardon, mesdames... Quel est le salaud qui a dit ?a?
--C'est M. Merlin, dit ma soeur en étendant les bras.
--Misérable! Gredin!
--Il a tort, grand tort, affirme tranquillement M. Beaudrain. Il ne faut pas médire du panache, eh! eh!; il a du bon, eh! eh! eh! La France a grandi à l'ombre de deux panaches: celui du Béarnais et celui de Napoléon.
--Oser dire des choses pareilles! s'écrie ma soeur.
--Et le jour même où l'on parle d'illuminer la ville pour fêter le départ de nos braves troupiers, gémit Mme Arnal.
Je tends l'oreille. Comment? On parle d'illuminations?
Oui. Et ces messieurs sont justement venus pour s'entendre avec mon père au sujet de la décoration de la rue. M. Beaudrain déclare, peut-être pour calmer un peu M. Pion, toujours furieux contre le père Merlin, qu'il a encore en sa possession les lanternes vénitiennes qui lui ont servi en 48.
--Ah! en 48. ?Des lampions! Des lampions.?
Et, tous les souvenirs guerriers de ces messieurs leur revenant en mémoire, ils remettent sur le tapis des histoires que je connais par coeur: le gigot de Louis-Philippe au bout des ba?onnettes, les barricades, une femme aux longs cheveux dénoués brandissant une escopette qui avait frappé tout particulièrement M. Beaudrain, et un jeune voyou, porté par les cheveux, à bras tendu, par un municipal à cheval, dont l'image ne peut s'échapper du cerveau de mon père.
On en oublie un peu les illuminations, le départ des soldats.
--Ainsi, papa, tu es bien de mon avis, demande Louise à mon père, quand nous sommes seuls, il faut défendre à Jean de retourner chez le père Merlin.
--Oh! je n'y retournerai pas!
--Alors, tu vois bien, fait mon père, que ce n'est pas la peine de le lui défendre... D'ailleurs, ajoute-t-il, je ne suis pas d'avis de me brouiller avec quelqu'un pour des bêtises, pour de la politique...
Des bêtises! Des insultes lancées à notre brave armée, à ceux qui nous gouvernent, qui vont nous mener à la victoire, comme disait tout à l'heure M. Pion? Des bêtises! les injures de ce vieux brigand de républicain qui ne respecte rien
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 71
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.