leurs pipes de leurs lèvres, se mirent également à considérer l'étranger, l'oeil fixe, la bouche béante.
Le robuste aubergiste avait une paire de grands yeux stupides comme des yeux de poisson, et le petit homme qui avait hasardé la remarque au sujet de la lune (il était sacristain et sonneur de Chigwell, village situé tout près du Maypole) avait de petits yeux ronds, noirs et brillants comme des grains de rosaire. Ce petit homme portait en outre aux genouillères de sa culotte d'un noir de rouille, sur son habit du même ton, et du haut en bas de son gilet à pans rabattus, de petits boutons bizarres qui ne ressemblaient à rien qu'à ses yeux; mais, par exemple, la ressemblance était si frappante, que, lorsqu'ils étincelaient et chatoyaient à la flamme de l'atre également reflétée sur les boucles luisantes de ses souliers, il paraissait tout yeux des pieds à la tête et l'on e?t dit qu'il employait chacun d'eux à contempler le chaland inconnu. Qui s'étonnerait qu'un homme dev?nt mal à son aise sous le feu d'une pareille batterie, sans parler des yeux appartenant à Tom Cobb le courtaud, marchand de chandelles et buraliste de la poste; puis encore au long Philippe Parkes, le garde forestier, qui tous deux, gagnés par la contagion de l'exemple, regardaient non moins fixement l'homme au chapeau rabattu?
L'étranger finit par devenir mal à son aise; peut-être était-ce de se voir exposé à cette fusillade de regards inquisiteurs: peut- être cela dépendait-il de la nature de ses méditations précédentes; plus probablement de la dernière cause: car, lorsqu'il changea sa position et jeta à la hate un regard autour de lui, il tressaillit de se trouver le point le mire de regards si per?ants, et il lan?a au groupe de la cheminée un coup d'oeil colère et soup?onneux. Ce coup d'oeil eut pour effet de détourner immédiatement tous les yeux vers l'atre, excepté ceux de John Willet, lequel, se voyant pris en quelque sorte sur le fait, et n'étant pas (comme nous l'avons déjà constaté) d'un naturel très vif, restait seul à contempler son h?te d'une fa?on singulièrement gauche et embarrassée.
?Eh bien?? dit l'étranger.
Eh bien! il n'y avait pas grand-chose dans cet Eh bien-là, ce n'était pas un long discours.
?J'avais cru que vous demandiez quelque chose,? dit l'aubergiste après une pause de deux ou trois minutes, pour se donner le temps de la réflexion.
L'étranger ?ta son chapeau et découvrit les traits durs d'un homme de soixante ans ou environ. Ils étaient fatigués et usés par le temps. Leur expression, naturellement rude, n'était pas adoucie par un foulard noir serré autour de sa tête, et qui, tout en tenant lieu de perruque, ombrageait son front et cachait presque ses sourcils était-ce pour distraire les regards et leur dérober une profonde balafre à présent cicatrisée en une laide couture, mais qui, lorsqu'elle était fra?che, avait d? mettre à nu la pommette de la joue? Si c'était là son but, il n'y réussissait guère, car elle sautait aux yeux. Son teint était d'une nuance cadavéreuse, et il avait une barbe grise, déjà longue de quelque trois semaines de date. Tel était le personnage (très piètrement vêtu) qui se leva alors de son siège et vint, en se promenant à travers la salle, se rasseoir dans le coin de la cheminée, que lui céda très vite le petit sacristain, par politesse ou par crainte.
?Un voleur de grand chemin! chuchota Tom Cobb à Parkes, le garde forestier.
-- Croyez-vous que les voleurs de grand chemin n'ont pas un plus beau costume que celui-là? repartit Parkes C'est, quelque chose de mieux que ce que vous pensez, Tom. Les voleurs de grand chemin ne sont pas des gueux en guenilles, ce n'est pas dans leurs go?ts ni dans leurs habitudes, je vous en donne ma parole.?
Pendant ce dialogue, le sujet de leurs conjectures avait fait à l'établissement l'honneur de demander quelque breuvage, qui lui avait été servi par Joe[7], fils de l'aubergiste, gars d'une vingtaine d'années, à larges épaules bien découplé, que son père se plaisait encore à considérer comme un petit gar?on, et à traiter en conséquence. étendant ses mains pour les réchauffer au feu de l'atre, l'homme tourna la tête du c?té de la compagnie, et, après l'avoir parcourue d'un regard per?ant, il dit, d'une voix bien appropriée à son extérieur:
?Quelle est donc cette maison qui se trouve à environ un mille d'ici?
-- Un cabaret? dit l'aubergiste de son ton habituel.
-- Un cabaret, père! se récria Joe. Y pensez-vous? un cabaret à un mille environ du Maypole? Il veut parler de la grande maison, la Garenne, rien de plus clair. N'est-ce pas, monsieur, la vieille maison en briques rouges, batie sur ses propres terres?
-- Oui, dit l'étranger.
-- Et qui était, il y a quinze ou vingt ans, au milieu d'un parc cinq fois aussi
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