Barnabé Rudge, Tome I | Page 9

Charles Dickens
côté pour moucher la chandelle.
«Je m'assis pour moucher la chandelle, et, quand j'eus fini de la
moucher, je ne pus point me résoudre à me lever et à me mettre à
l'ouvrage. Je ne sais pas comment cela se fit, mais je pensais à toutes
les histoires de fantômes que j'avais entendu raconter, même à celles
que j'avais entendu raconter quand j'étais petit garçon à l'école, et que
j'avais oubliées depuis longtemps, et notez bien qu'elles ne me
revenaient pas à l'esprit une à une, mais toutes à la fois, et comme en
bloc.
«Je me rappelai une histoire de notre village, comme quoi il y avait une
certaine nuit dans l'année (rien ne me disait que ce ne fût pas cette
nuit-là même), où tous les morts sortaient de terre et s'asseyaient au
chevet de leurs propres fosses jusqu'au matin. Cela me fit songer
combien de gens que j'avais connus étaient enterrés entre la porte de
l'église et la porte du cimetière, et quelle chose effroyable ce serait que

d'avoir à passer au milieu d'eux et de les reconnaître, malgré leurs
figures terreuses, et quoique si différents d'eux-mêmes. Je connaissais
depuis mon enfance toutes les niches et tous les arceaux de l'église;
cependant je ne pouvais me persuader que ce fût leur ombre que je
voyais sur les dalles, mais j'étais convaincu qu'il y avait là une foule de
laides figures qui se cachaient parmi ces ombres pour m'épier. Dans le
cours de mes réflexions, je commençai à penser au vieux gentleman qui
venait de mourir, et j'aurais juré, lorsque je regardais en haut le noir
sanctuaire, que je le voyais à sa place accoutumée, s'enveloppant de son
linceul, et frissonnant comme s'il eût senti froid. Tout ce temps, je
restai assis écoutant, écoutant toujours, et n'osant presque pas respirer.
À la fin je me levai brusquement et je pris dans mes mains la corde de
la cloche. Au moment même sonna, non pas cette cloche, car j'avais à
peine touché la corde, mais une autre.
«J'entendis sonner une autre cloche, et une fameuse cloche encore. Ce
fut l'affaire d'un instant, car le vent emporta le son, mais je l'entendis.
J'écoutai longtemps, mais plus rien. J'avais ouï dire que les morts
avaient des chandelles à eux; je finis par me persuader qu'ils pouvaient
bien aussi avoir une cloche qui tintait d'elle-même à minuit pour les
trépassés. Je tintai ma cloche, comment ou combien de temps, je n'en
sais rien, et je courus regagner la maison et mon lit sans regarder
derrière mes talons.
«Je me levai le lendemain matin après une nuit sans sommeil, et je
racontai mon aventure à mes voisins. Quelques-uns l'écoutèrent
sérieusement, d'autres n'en firent que rire; je crois qu'au fond personne
n'y voulut croire. Mais ce matin-là, on trouva M. Reuben Haredale
assassiné dans sa chambre à coucher: il tenait à la main un morceau de
la corde attachée à une cloche d'alarme en dehors du toit; cette corde
pendait dans sa chambre, et elle avait été coupée en deux, sans aucun
doute par l'assassin, lorsque sa victime l'avait saisie.
«La cloche que j'avais entendue, c'était celle-là.
«On trouva un secrétaire ouvert; une cassette, que M. Haredale avait
apportée la veille et qu'on supposait renfermer une grosse somme
d'argent, avait disparu. L'intendant et le jardinier n'étaient plus là ni l'un

ni l'autre, et tous deux furent longtemps soupçonnés; mais on ne parvint
jamais à les trouver, quoiqu'on les cherchât bien loin, bien loin. On
aurait pu chercher encore plus loin l'intendant, le pauvre M. Rudge: car
son corps, à peine reconnaissable sans ses vêtements, sans la montre et
l'anneau qu'il portait, fut trouvé, des mois après, au fond d'une pièce
d'eau, dans les terres du domaine, avec une blessure béante à la poitrine:
il avait été frappé d'un coup de couteau. Il était à moitié vêtu, et tout le
monde s'accorda à dire qu'il était en train de lire dans sa chambre, qu'on
trouva pleine de traces de sang, quand on était tombé soudainement sur
lui pour le tuer avant son maître.
«Chacun reconnut alors que c'était le jardinier qui devait être l'assassin,
et, quoiqu'on n'en ait jamais entendu parler depuis cette époque jusqu'à
présent, on en entendra parler; prenez note de ce que je vous dis là. Le
crime a été commis il y a vingt-deux ans, jour pour jour, le 19 mars
1753. Le 19 mars d'une année quelconque, peu importe quand... je sais
toujours bien, et j'en suis sûr, parce que toujours, d'une manière
quelconque, et par une coïncidence étrange, nous avons été ramenés à
en parler, ce même jour, depuis l'événement... le 19 mars d'une année
quelconque, tôt ou tard cet homme-là sera découvert.»

CHAPITRE II.
«Voilà une étrange histoire! dit l'homme qui avait donné lieu au récit,
plus étrange encore
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