Aventures merveilleuses mais authentiques du capitaine Corcoran | Page 4

Alfred Assollant
Sougriva était ce courageux
brahmine qui avait aidé si puissamment Corcoran à vaincre les Anglais. En récompense,
il était devenu son premier ministre.
Sougriva se prosterna devant son maître et devant Sita en élevant ses mains en forme de
coupe vers le ciel; puis, avec la permission de Corcoran, il s'assit sur un tapis de Perse,
attendant qu'on le questionnât.
«Eh bien, quelles nouvelles? demanda Corcoran.
--Seigneur, répondit Sougriva, l'empire est tranquille. Voici les journaux anglais de
Bombay. Ils disent de vous tout le mal possible.
--Bons Anglais! Ils veulent me faire une réputation. Voyons le Bombay Times.»
Il déplia le journal et lut ce qui suit:
«Maintenant que la révolte des cipayes touche à sa fin, il serait peut-être temps de rétablir
l'ordre dans le pays des Mahrattes et d'infliger à cet aventurier français le châtiment qu'il
mérite.

«On nous apprend que ce vil chef de brigands, soutenu par une bande d'assassins de
toutes les nations, l'écume de la terre habitable, commence à s'établir solidement à
Bhagavapour et aux environs. Non content d'avoir, par un crime atroce, ôté son royaume
et la vie au vieil Holkar, il a, dit-on, eu l'effronterie d'épouser sa fille Sita, la dernière
descendante des plus anciens rois de l'Inde, et cette malheureuse femme, qui tremble de
subir un jour le funeste sort de son père, est forcée de partager le trône avec le meurtrier
d'Holkar.»
--Bravo! très-bien! s'écria Corcoran. Cet Anglais débute d'une façon admirable. Ah! ah! il
paraît qu'en effet ils se croient déjà les plus forts, puisqu'ils commencent à m'insulter....
Voyons la suite.
«.... Ce n'est pas tout. Ce misérable, qui s'est échappé, dit-on, du pénitencier de Cayenne,
où il était enfermé avec quelques milliers de ses pareils, a mis tout le pays des Mahrattes
en coupe réglée. Suivi d'une armée nombreuse, il parcourt, pille et rançonne, l'une après
l'autre, toutes les provinces du royaume d'Holkar, mettant à feu et à sang tout ce qui ose
résister....»
Corcoran jeta le journal.
«Voilà, dit-il, comme on écrit l'histoire. C'est par ces mensonges que lord Braddock, le
gouverneur général de l'Inde, se prépare à m'attaquer.
--Seigneur, dit Sougriva, que comptez-vous faire?
--Moi! rien du tout. Si lord Braddock était homme à mettre habit bas et à s'aligner avec
moi sur le terrain, l'épée à la main, je lui couperais la gorge comme il faut; mais ce gros
milord ne voudra jamais risquer sa peau de seigneur.... Il faut le payer de même monnaie.
C'est mon Moniteur de Bhagavapour qui sera chargé de répliquer.
--Cher seigneur, interrompit Sita, voudriez-vous descendre à vous justifier?
--Qui? moi! Que Vichnou m'en préserve! Est-ce qu'on se justifie lorsqu'on est accusé
d'avoir tué père et mère? Mon Moniteur dira que Barclay est un âne que j'ai étrillé
durement, que le gouverneur de Bombay est un drôle et un va-nu-pieds, que lord
Braddock est un bandit qu'on devrait empaler, et que tous trois tremblent devant moi
comme le chevreuil devant le tigre. Qu'il orne ces belles choses de son style indien et
qu'il y ajoute tout ce que son imagination lui offrira de plus mortifiant pour ces trois
grands personnages. Puisque la presse est libre dans mes États, c'est bien le moins qu'elle
me serve à quelque chose contre mes ennemis.
--A ce propos, seigneur, reprit Sougriva, les journaux de Bhagavapour, profitant de la
liberté que vous leur laissez, crient tous les jours contre vous.
--Ah! ah! Et que disent-ils?
--Que vous êtes un aventurier, capable de tous les crimes, que vous opprimez le peuple
mahratte, et qu'il faut vous jeter par terre.

--Laisse-les dire. Puisque je suis leur maître, il faut bien qu'ils médisent de moi.
--Mais, seigneur, si l'on se révolte?
--Et pourquoi se révolteraient-ils? Où trouveraient-ils un meilleur maître?
--Mais enfin, seigneur, insista Sougriva, s'ils prennent les armes?
--S'ils prennent les armes, ils violent la loi. S'ils violent la loi, je les ferai fusiller.
--Quoi! ne ferez-vous aucune grâce? demanda Sita.
--Aucune pour les chefs. Quand un homme libre viole la loi qui assure sa liberté et celle
d'autrui, il est sans excuse, et mérite qu'on en finisse avec lui par la corde, la mitraille ou
l'exil.»
Tout à coup Corcoran interrompit la conversation, et, se tournant vers Louison, qui était
nonchalamment couchée sur le tapis à côté de Sita:
«Qu'en penses-tu, ma chérie?» dit-il.
Louison ne répondit pas. Elle ne parut même pas avoir entendu la question. Son regard,
d'ordinaire si fin, si intelligent et si gai, errait dans le vide et paraissait distrait.
«Louison est malade,» dit Sita.
Corcoran frappa sur un gong. Aussitôt Ali s'avança. C'était, on s'en souvient, le plus
brave et le plus fidèle des serviteurs d'Holkar, et c'est à lui qu'était confiée la garde de
Louison.
«Ali, demanda Corcoran, est-ce que Louison a perdu l'appétit?
--Non, seigneur.
--Quelqu'un l'a-t-il maltraitée.
--Seigneur, personne n'oserait.
--D'où
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