pierreries. Un philosophe tel que vous ne doit pas être traité comme un
prince ou un banquier.
«Le second du brick _le Fils de la Tempête_, que j'ai fait amiral de la flotte mahratte, est
chargé de vous raconter de vive voix toutes nos aventures. Ce n'est pas un savant homme
et je ne crois pas qu'il connaisse grand'chose en dehors de la lecture, de l'écriture, du
sextant et de la boussole; mais pour la manoeuvre il n'a pas son pareil, et si quelqu'un des
membres de l'Académie voulait me faire l'honneur de visiter mes États, Kaï Kermadeuc a
ordre de le prendre à son bord et de le traiter comme moi même.
«Veuillez agréer, monsieur le président, et communiquer à messieurs les académiciens
l'expression de la respectueuse admiration de votre tout dévoué,
CORCORAN Ier,
«Empereur de la Confédération mahratte,
«_P.S._ Louison, à qui je viens de lire ces quelques lignes, me charge de la rappeler à
votre souvenir.»
Cette lettre fut remise au président de l'Académie pendant la séance, et il se hâta d'en
donner connaissance au public et de faire appeler Kaï Kermadeuc, le commandant du
_Fils de la Tempête_.
Celui-ci s'avança en se dandinant sur ses jambes, comme un pommier agité par le vent.
C'était un vieux marin, basané, goudronné, qui avait doublé trois fois le cap Horn et neuf
fois le cap de Bonne-Espérance, et qui avait horreur de la terre autant que les chats ont
horreur de l'eau froide.
Comme il roulait son chapeau dans ses doigts de l'air embarrassé d'un écolier qui sait mal
sa leçon, le président crut devoir venir à son secours.
«Rassurez-vous, mon brave homme, dit-il avec bonté, et expliquez-nous, s'il vous plaît,
les commissions dont Sa Majesté le maharajah des Mahrattes vous a chargé pour
l'Académie.
--Pour lors, dit Kermadeuc d'une voix tonnante qui fit trembler les vitres, pour lors, voici
la question. Mon capitaine, qui est l'empereur dont vous parlez, étant parti sur son brick
_le Fils de la Tempête_, qui file dix-huit noeuds à l'heure par un temps calme, arriva, cinq
semaines après, dans le pays du seigneur Holkar, un particulier fort âgé et plein de
roupies, qui avait querelle avec les Anglais pour la raison de ce qu'il refusait de leur
donner sa fille et ses roupies. Pour lors, le capitaine Corcoran regarde la fille, qui était
belle comme une sainte vierge, et dit: Je suis français! Pour lors, il prend sa cravache et
tape sur les Anglais pendant que sa Louison (sa tigresse, messieurs, sauf votre respect)
leur tordait le cou comme à des canards. Voyant cela, l'homme âgé meurt, laissant sa fille,
son royaume, ses roupies et ses moricauds au capitaine qui, du coup devient empereur.
N'est-ce pas ce qu'il pouvait faire de mieux?»
Tous les assistants convinrent que Corcoran avait, en effet, pris le meilleur parti, et le
secrétaire perpétuel, qui était curieux, demanda de quelle manière avait été conquis le
fameux Gouroukaramta.
[Illustration: Kaï Kermadeuc s'avança (Page 5.)]
«Pour lors, répliqua Kermadeuc, c'est bien simple. Quand le capitaine fut devenu majesté,
et riche, et marié à son goût, il commença à s'ennuyer.--Je lui dis: Capitaine, vous n'êtes
pas heureux. Est-ce que ce serait la faute à madame Sita? (Vous savez, messieurs, le
mariage ne réussit pas à tout le monde, et moi qui vous parle, quand madame Kermadeuc
n'est pas contente, j'ouvre la porte et je file vivement, oh! mais vivement, et sans chercher
mon chapeau.) Mais il paraît que je m'étais trompé, car il me répondit: «Kermadeuc, mon
vieux camarade, Sita est une femme qui n'a pas sa pareille au monde, ni dans la lune, ni
dans le pays du Turc et du Moscovite....--C'est égal, capitaine, vous aviez tout à l'heure
votre figure _vent debout_; je m'y connais, ça n'est pas naturel.» Il me tourna le dos sans
rien dire, preuve que j'avais touché juste. Mais dix jours plus tard tout était changé. Il me
fit venir un matin.--On vient de m'avertir que le Gouroukaramta est caché dans le temple
de Pandara. Veux-tu remonter la rivière avec moi?--Quand vous voudrez, mon capitaine.
Et, sans vous commander, aurons-nous beaucoup de passagers sur mon brick?--Deux
seulement, Louison, que tu connais, et moi.--C'est dit. Nous partons le soir même, et nous
remontons le long des monts Vindhya. A droite et à gauche de la rivière on ne voyait plus
que de noires forêts. De temps en temps on entendait le rugissement des tigres, le pas
lourd des éléphants ou le sifflement du cobra capello. Pour vous consoler, le soleil vous
rôtit pendant le jour et les moustiques vous mordent pendant la nuit. Le matin j'avais les
lèvres enflées comme des boudins, et mon nez ressemblait à une vitelotte. Enfin, suffit;
nous arrivons dans un village où l'on ne voyait que des fakirs. Le fakir, messieurs, vous
savez
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