brillaient au soleil; les yeux étaient fermés et la gueule était ouverte.
C'était un crocodile qui dormait sur le sable, au soleil, comme un juste. Aucun rêve ne troublait ce tranquille sommeil. Il ronflait paisiblement, comme ronflent les crocodiles qui n'ont pas de mauvaise action sur la conscience.
Ce sommeil, cette pose pleine de grace et d'abandon, je ne sais quoi encore, probablement quelque inspiration de l'esprit malin, tout parut tenter Louison. Je vis ses lèvres s'écarter. Elle riait comme un jeune polisson qui va jouer un bon tour à son ma?tre d'école.
Elle avan?a doucement la patte et l'enfon?a tout entière dans la gueule du crocodile. Elle essayait d'arracher la langue du dormeur pour la manger en guise de dessert, car Louison est très-friande; c'est le défaut de son sexe et de son age.
Mais elle fut bien sévèrement punie de sa mauvaise pensée.
Elle n'eut pas plut?t touché la langue du crocodile, que la gueule de celui-ci se referma. Il ouvrit les yeux,--de grands yeux couleur vert de mer, que je vois encore,--et regarda Louison d'un air de surprise, de colère et de douleur qu'il est impossible de peindre.
De son c?té, Louison n'était pas à la noce. La pauvre chérie se débattait comme un diable entre les dents aigu?s du crocodile. Heureusement, elle serrait si fort la langue de celui-ci avec ses griffes, que le malheureux n'osait user de toutes ses forces et lui couper la patte, comme il l'aurait fait aisément si sa langue avait été libre.
Jusque-là le combat était égal, et je ne savais pour qui faire des voeux, car enfin l'intention de Louison n'était pas bonne, et sa plaisanterie était fort désagréable pour son adversaire; mais Louison était si belle! Elle avait tant de graces dans les formes, tant de souplesse dans les membres, tant de variété dans les mouvements! Elle ressemblait à une jeune chatte, à peine en sevrage, qui joue au soleil sous les yeux de sa mère.
Mais, hélas! ce n'était pas pour jouer qu'elle se tordait sur le sable en poussant des cris rauques qui faisaient retentir la forêt. Les singes, perchés en s?reté sur les cocotiers, regardaient en riant ce terrible combat. Les babouins montraient Louison aux macaques et lui faisaient, le petit doigt posé sur le nez et la main déployée en éventail, le geste moqueur des gamins de Paris. L'un d'eux même, plus hardi que les autres, descendit de branche en branche jusqu'à six ou sept pieds de terre, et là, se suspendant par la queue, il osa du bout de ses ongles gratter légèrement le mufle de la redoutable tigresse. A cette plaisanterie, tous les babouins poussèrent de grands éclats de rire; mais Louison fit un geste si prompt et si mena?ant, que le jeune babouin qui l'avait essayée n'osa pas la recommencer, et se tint pour très-heureux d'avoir échappé aux dents meurtrières de son ennemie.
Cependant le crocodile entra?nait la pauvre tigresse dans la rivière. Elle leva les yeux au ciel, comme pour implorer sa pitié ou le prendre à témoin de son martyre, et les abaissa sur moi par hasard.
Quels beaux yeux! Quel mélancolique et doux regard où se peignaient toutes les angoisses de la mort! Pauvre Louison!
Au même instant le crocodile plongea, entra?nant Louison sous l'eau. A cette vue je me décidai.
Le bouillonnement de la rivière indiquait les efforts de Louison pour se dégager. J'attendis pendant une demi-minute, la carabine à l'épaule, le doigt sur la détente, l'oeil fixe.
Heureusement, Louison, qui est un animal, si vous voulez, mais qui n'est pas une bête, s'était dans son désespoir accrochée fortement à un tronc d'arbre qui pendait sur le bord de l'eau.
Cette précaution lui sauva la vie.
A force de se débattre, elle parvint à élever sa tête au-dessus de la rivière et à se tirer par là du danger le plus pressant, celui de se noyer.
Peu à peu le crocodile lui-même sentit le besoin de respirer, et, moitié de gré, moitié de force, revint avec elle au rivage.
C'est là que je l'attendais. En un clin d'oeil son sort fut décidé. L'ajuster, tirer mon coup de carabine, lui envoyer une balle dans l'oeil gauche et lui briser le crane, ce fut l'affaire de deux secondes. Le malheureux ouvrit la gueule et voulut gémir. Il battit le sable de ses quatre pieds et expira.
[Illustration: Cependant le crocodile entra?nait la tigresse dans la rivière. (P. 35.)]
La tigresse, plus prompte encore que moi, avait déjà retiré de la gueule de son ennemi sa patte à demi déchirée.
Son premier mouvement, je dois le dire, ne fut pas un témoignage de confiance ou de reconnaissance. Peut-être pensait-elle avoir plus à craindre de moi que du crocodile. Elle essaya d'abord de fuir; mais la pauvre bête, réduite à trois pattes et presque estropiée de la quatrième, ne pouvait aller bien loin. Au bout de dix pas, je l'atteignis.
Je vous avouerai,
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.