Aventures extraordinaires dun savant russe | Page 6

Georges le et Henri de Graffigny Faure
génie auquel la Russie et le monde entier doivent tant de belles et grandes découvertes.
--Vous êtes tout excusé, monsieur, répondit Ossipoff, car c'est un grand bonheur pour moi que de serrer les mains de l'auteur des Continents du Ciel et de l'Astronomie du Peuple...
Gontran, tout interloqué, regarda le vieillard en écarquillant les yeux, puis son regard glissa jusqu'à Séléna et sa surprise s'accrut encore en apercevant la jeune fille, un doigt placé sur la bouche.
M. Ossipoff remarqua l'attitude du jeune homme et répliqua:
--Vous paraissez surpris... mais, mon cher monsieur, la Russie n'est pas un pays de sauvages... nous nous occupons du mouvement scientifique des autres nations et, en ce qui vous concerne personnellement...
Il le prit sans fa?on par la main et, l'entra?nant devant l'une des immenses vitrines qui couraient le long du mur, montrant leurs tablettes surchargées de bouquins:
--Tenez, dit-il, en lui désignant du doigt d'énormes in-folio, reliés en maroquin et sur le dos desquels brillaient des inscriptions en lettres dorées, vous voyez que vous avez la place d'honneur.
Gontran était atterré, car un regard jeté sur ces volumes venait de lui faire comprendre la confusion dont le vieillard était victime: c'étaient les Continents du ciel, l'Astronomie du peuple, les Mondes planétaires, l'Atmosphère Terrestre, tous ouvrages dus à la plume du célèbre astronome fran?ais Flammermont.
[Illustration]
Mickha?l Ossipoff s'imaginait avoir affaire à l'auteur de ces remarquables travaux, alors que lui, Gontran de Flammermont, comte par naissance et diplomate par désoeuvrement, ha?ssait de toutes ses forces tout ce qui ressemblait à la science. Les seuls mots ?d'équation du premier degré?, de ?polyn?me?, de ?bissectrice? lui donnaient la migraine, et voilà qu'il était confondu avec l'un des savants qui sont l'honneur de son pays!
En vérité le hasard faisait bien les choses!
Et tout de suite, il comprit combien ses projets matrimoniaux avaient de chances d'échouer, maintenant que le vieillard croyait que l'homme qui aspirait à la main de sa fille était comme lui un savant, comme lui un être naviguant dans l'infini, habitant plus les astres que la terre, s'intéressant davantage aux volcans de la lune et aux taches du soleil, qu'aux grandes marées et aux éruptions volcaniques de notre pauvre planète.
Cependant, d'un naturel plein de franchise et de droiture, il ne put se décider à entretenir l'erreur du savant et il lui dit:
--Je ne sais, monsieur Ossipoff, qui a pu causer votre erreur; mais je dois vous avouer humblement que je ne suis pas celui que vous croyez.
Comme par enchantement l'attitude du vieillard changea.
--Que m'as-tu donc dit? demanda-t-il en s'adressant à Séléna d'un ton rogue, ne m'as-tu pas raconté que monsieur s'appelait Flammermont?
--Effectivement, mon cher père, répondit la jeune fille, mais je ne vous ai point dit que monsieur f?t le savant que vous croyez.
Aussit?t, le vieillard s'écarta et se redressant d'un air soup?onneux:
--Alors, fit-il sèchement, que vient faire ici monsieur?
Le comte se tourna vers Séléna.
--Je croyais, murmura-t-il, que mademoiselle votre fille vous avait expliqué...
Séléna prit la parole.
--Je vous ai dit, mon père, que M. de Flammermont m'aimait et qu'il venait aujourd'hui vous demander ma main.
Et voyant les sourcils contractés et l'attitude hostile du vieillard elle ajouta pour l'amadouer un peu:
--Du reste, Mme Bakounine et moi n'avons encouragé monsieur à faire auprès de vous une semblable démarche, que lorsque nous avons su que vous et lui êtes en communion d'idées.
Le visage d'Ossipoff se dérida un peu.
[Illustration]
Celui de Gontran refléta l'étonnement le plus profond.
--Oui, poursuivit Séléna en adressant au jeune homme un regard d'intelligence, monsieur le comte est plus qu'un ami des sciences; c'est un fervent adepte que ne laisse indifférent aucun des grands progrès qui intéressent notre époque... En dehors de la carrière diplomatique qu'il a d? suivre, il a continué à s'occuper d'astronomie, de chimie et de physique et de bien d'autres choses encore...
M. de Flammermont regarda la jeune fille d'un air effaré.
Le vieux savant, lui, fixa sur le jeune homme des regards subitement adoucis.
--Vous êtes le bienvenu dans mon logis, monsieur, donnez-vous la peine de vous asseoir.
Et indiquant un siège au visiteur, il s'enfon?a dans son fauteuil, tandis que, par une manoeuvre habile, Séléna se pla?ait sur un pouf de tapisserie, juste derrière la chaise de Gontran.
[Illustration]
Une fois installée, à moitié noyée dans la demi-obscurité qui régnait dans la pièce, elle se pencha un peu et murmura:
--Ne craignez rien, laissez parler mon père et comptez sur moi.
Le jeune homme, un peu rassuré par ces mots, se prépara à faire bonne contenance et à soutenir du mieux qu'il pourrait l'assaut qu'il prévoyait.
--Vous êtes sans doute parent de l'auteur des Continents célestes? demanda M. Ossipoff après un instant.
Gontran, qui s'attendait à voir tout d'abord la conversation s'engager sur sa demande en mariage, répondit à tout hasard:
--Effectivement.
Aussit?t, le vieillard, comme intéressé au plus haut point par cette réponse, roula son fauteuil tout près de celui du jeune homme.
--Et vous vivez sans doute beaucoup dans sa société?
--Autant
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