Aventures extraordinaires dun savant russe | Page 5

Georges le et Henri de Graffigny Faure
à voir son père bondir; il n'en fut rien; le vieillard ne broncha pas, alors la jeune fille ajouta:
--Quelques instants après, Mme Bakounine me l'a présenté comme un excellent valseur et j'ai dansé avec lui... puis, je suis retournée tous les dimanches soir chez Mme Bakounine et je l'ai toujours retrouvé... de plus en plus aimable... de plus en plus galant... si bien que je n'ai pas été surprise quand il y a huit jours Mme Bakounine m'a dit qu'il m'aimait... qu'il l'avait chargée de me le dire et de savoir s'il pouvait espérer que... alors j'ai embrassé cette bonne Mme Bakounine; elle a compris et il a été convenu qu'elle l'accompagnerait aujourd'hui pour faire sa demande officielle...
[Illustration]
Et elle ajouta, après une courte pause:
--Il a un peu de fortune... il est diplomate et il s'appelle Gontran de Flammermont.
A ce nom, le vieillard tressauta et, saisissant les mains de sa fille, il s'écria:
--Flammermont! as-tu dit... tu viens de prononcer le nom de Flammermont?
--Mais oui, mon père, répondit la jeune fille toute saisie, il s'appelle de Flammermont, il m'aime et il devait venir aujourd'hui même vous demander ma main.
Le vieillard se dressa tout d'une pièce et arpenta fébrilement son cabinet.
--Flammermont ici! murmura-t-il en levant les bras au ciel, Flammermont qui t'aime et veut devenir mon gendre!... Ah! je n'espérais pas un bonheur si grand...
Séléna ouvrait de grands yeux.
--Vous le connaissez donc, mon père? balbutia-t-elle toute surprise.
--Comment, si je le connais!... exclama le vieillard... mais qui donc dans le monde des sciences ne conna?t Flammermont, ce savant Fran?ais dont les découvertes ont fait faire à l'étude de l'astronomie de si étonnants progrès... mais j'ai là, dans ma bibliothèque, tous ses ouvrages, je les ai lus, relus et relus... je les sais par coeur... Ah! c'est un homme bien étonnant... bien étonnant...
La jeune fille regardait son père d'un air épouvanté.
--Mais il confond, murmura-t-elle, sans doute y a-t-il un savant fran?ais qui porte ce nom; mais Gontran n'est que diplomate... il ne conna?t pas un mot de sciences et encore bien moins d'astronomie.
Et tout de suite la vérité lui apparut; le vieillard n'avait pas écouté une syllabe de toutes les explications qu'elle lui avait données; quelque problème astronomique avait sans doute sollicité son esprit et seul le nom de Flammermont, le dernier mot prononcé par Séléna, avait pu attirer son attention.
Et comme la jeune fille ouvrait la bouche pour tirer son père de l'erreur dans laquelle l'avait fait tomber la distraction dont il était coutumier, la cloche électrique de la porte d'entrée résonna, annon?ant un visiteur.
--C'est lui, murmura Séléna toute rose d'émotion.
--C'est lui, répéta radieusement Mickha?l Ossipoff.
Puis aussit?t jetant un coup d'oeil sur ses vêtements tachés, déchirés, br?lés, il ajouta:
--Je ne puis le recevoir décemment comme cela... ma chère enfant, tiens-lui compagnie, le temps que je vais changer de vêtements.
Et, sans attendre la réponse, il souleva une tenture et disparut.
Au même instant Wassili ouvrit la porte et annon?a:
--Monsieur le comte Gontran de Flammermont.
Puis s'effa?ant, il livra passage à un jeune homme paraissant de vingt-cinq à vingt-six ans, d'une taille élégante, bien moulée dans une redingote de coupe irréprochable, portant haut la tête, le visage coupé transversalement par de grandes moustaches rousses, d'allure militaire, et surmontant une bouche au dessin spirituel et railleur; les yeux bruns, un peu petits, mais brillant d'un vif éclat, s'ouvraient sous des sourcils touffus et se rejoignaient à la naissance du nez comme deux sabres recourbés; le front grand et pur était encadré dans une forêt de cheveux coupés en brosse et de même couleur que les moustaches.
--Mademoiselle, dit-il en s'inclinant bien bas et en enveloppant la jeune fille d'un regard plein d'amour, Mme Bakounine s'étant subitement trouvée indisposée, n'a pu m'accompagner; néanmoins, voyant combien grande était mon impatience de conna?tre mon sort, elle m'a engagé à venir, en m'assurant que vous seriez assez aimable pour me présenter à monsieur votre père... alors, malgré le caractère un peu irrégulier de cette démarche...
Séléna sourit finement et répondit en rougissant un peu:
--En effet, ce n'est peut-être pas très... très diplomate... mais enfin, il y a cas de force majeure.
Et elle ajouta, très gracieuse, en désignant un siège au jeune homme:
--Vous excuserez mon père, monsieur, il vient de me quitter à l'instant pour changer ses vêtements de laboratoire contre un costume plus convenable.
Puis aussit?t, se rapprochant du comte de Flammermont:
--Ah! monsieur, dit-elle à voix basse, si vous saviez...
[Illustration]
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Tout de suite il s'inquiéta et demanda:
--Qu'arrive-t-il?
Comme elle allait répondre, M. Ossipoff parut, grotesquement accoutré d'un habit noir démodé découvrant une chemise toute froissée et salie par les travaux du laboratoire et autour du col de laquelle, une cravate blanche fripée était nouée comme une ficelle.
Les mains tendues, il s'avan?a au-devant du jeune homme qui lui aussi se précipita.
--Excusez-moi, monsieur, dit le comte de Flammermont, de venir troubler ainsi dans ses travaux et ses études l'homme de
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